Colonisation, objectivité scientifique et commedia dell’arte

En général, les débats franco-français sur l’utilité supposée de la colonisation pour les colonisés me font, au mieux, sourire. C’est totalement prévisible. Nous avons d’une part des français, dits de souche, i.e. tout blancs qui soutiennent qu’après tout, la colonisation n’était pas si terrible que ça. Et ce d’autant plus que, si l’on y réfléchis bien, la colonisation a apporté à ces pays la civilisation, la modernité et la prospérité. En face, nous avons bien évidemment ce qu’il est convenu d’appeler un français-issu-de-l’immigration (marrant mais j’ai jamais entendu personne qualifier Ted Sandler, Stephen Smith ou Nicolas Sarkozy de français issu de l’immigration!), i.e. un noir ou un arabe, qui adopte une posture morale et soutient que la colonisation était le mal absolu avec ses cortèges de frustrations, travaux forcés et exploitation économique. De tels débats sont, à mon avis, tout sauf objectifs et leur but est moins de parler de la colonisation que de régler des comptes et d’éviter de parler de problèmes politiques et sociaux qui se posent ici et maintenant à la société française. Je pense que si l’on classe ces débats dans la catégorie qui esst la leur à savoir la farce involontaire qui accompagne toute vie démocratique qui se respecte, il est tout à fait possible d’apprécier le spectacle en connaisseur et même de sourire un peu en remarquant par exemple tout le génie du subtil appel du pied que constitue pour des députés de la droite dite républicaine le vote d’une loi aberrante mais qui a le double mérite de plaire aux Harkis et à l’extrême droite !
Ce qui me fait moins sourire en revanche, ce sont des livres d’universitaires qui sous prétexte d’objectivité scientifique, tiennent des discours pour le moins, douteux. Je pense ici à Daniel Lefeuvre que j’ai entendu parler de son nouveau livre dont le titre est : Pour en finir avec la repentance coloniale. Son idée est la suivante : il faut arrêter de céder aux demandes d’excuse et de regretter la colonisation comme si elle était une entreprise absolument horrible parce que, quand on fait une analyse économique de la colonisation (notamment algérienne), on se rend compte que la France a dépensé plus d’argent qu’elle n’en a retiré. Et voilà pour tous ces naïfs ignorants pleins de bon sentiments qui pensaient que la colonisation était une entreprise d’exploitation et d’asservissement! Apportons de l’eau à son moulin, depuis que les anciennes colonies sont indépendantes, elles vont encore plus mal qu’avant. Pas assez d’eau? J’apporte carrément un torrent : Senghor lui-même a écrit : « La colonisation était un mal nécessaire. »
Fin de la douche, l’eau était juste à la bonne température merci de poser la question, encore que le torrent…, non mais ça va quoi!.
J’avoue moi-même, je suis passablement énervé par les perpétuelles repentances, demandes de réparation, accusations and so on. N’empêche que je crois que là, il y va quand même un peu trop fort. Nonobstant (comment ça tu m’autorise pas à nonobster? Je nonobste autant que je veux dans mes posts. Désolé mais c’était vraiment trop tentant.) le fait que j’aimerais bien voir ses chiffres et leur mode de calcul (Je me suis laissé dire qu’il était déjà arrivé que des gouvernements bidouillent leurs statistiques), je me demande si un tel état de fait ne prouverait pas d’abord que l’incompétence de la haute fonction publique française est une tradition remontant à au moins un siècle plus qu’autre chose. Plus sérieusement, je pense qu’il suffit d’étudier le système économique colonial pour voir que cette argumentation en faveur de la colonisation ne tient absolument pas la route. Dans un système économique normal, les dirigeants sont censés faire des choix en fonction d’intérêts endogènes, alors que dans un système colonial, c’est la métropole et une élite métropolitaine établie sur place qui décident des priorités économiques. De ce fait, l’agriculture, tout comme les productions industrielles locales sont profondément modifiées pour satisfaire à des intérêts externes. Qu’un historien qui se pique d’économie et d’objectivité ne voit pas cette caractéristique élémentaire me semble assez effrayant.
Si vous le permettez, j’aimerais revenir à mon torrent, quand Senghor dit que la colonisation était un mal nécessaire, il se laisse encore une fois avoir par son goût pour les belles formules, il suffit cependant de lire les récits des premiers explorateurs arabes(Ibn Battuta par exemple) et européens (René Caillé…) pour se rendre compte que cette idée reçue est pour le moins discutable : les empires africains pré-coloniaux étaient parfaitement structurés et administrés avec un système d’éducation qui allait parfois jusqu’à un niveau universitaire (cf. Tombouctou).
Vous remarquerez qu’à aucun moment, je n’ai parlé du fait que la colonisation avait eu un coût humain absolument effroyable s’étant accompagné de travaux forcés institutionnalisés et d’un arbitraire total; cela ne veut bien évidemment pas dire que je pense que c’est là un détail de l’histoire, comme dirait un politicien français bien connu; il me semble juste que ce n’est pas là la seule ligne d’argumentation possible, ni la réponse appropriée quand des profs se servent de leur soi-disant objectivité scientifique à des fins spécieuses.
PS : Si vous voulez lire une vraie farce ayant pour toile de fond la colonisation mais alors là, vraiment drôle, je vous conseille L’étrange destin de Wangrin de Amadou Hampaté Ba : c’est mille fois mieux que les débats politiques français!
Katrina & le phénomène NIMBY

NIMBY = Not In My Back Yard – Pas dans mon arrière cours.
Les nimbies sont une race pas si nouvelle que ça, qui peut parfois aimer les pauvres, mais aime bien quand les pauvres vivent loin des quartiers nimbies et ont le bon goût de ne pas trop étaler leur misère.
Un an après l’ouragan Katrina, on voit se déployer le phénomène NIMBY dans toute sa splendeur. Paradoxalement, les quartiers pauvres ne sont pas nécessairement les plus touchés. Le problème c’est que les pauvres, par définition, n’ont pas d’économies. Du coup, il leur est impossible de reconstruire leurs maisons qui, bien évidemment, ne sont pas assurées. Il ne leur reste donc plus qu’à vendre leurs maisons et à essayer de recommencer leur vie ailleurs. La classe moyenne supérieure de la Nouvelle Orléans est ravie de cette aubaine. Vous rendez-vous compte? Virer tous les pauvres d’une ville, racheter leurs bicoques généralement bien situées, les raser et reconstruire une ville nouvelle où il n’y aurait que des gens du même niveau socioculturel; c’est là le rêve de tout NIMBY qui se respecte non?
OK, qui dit Nouvelle Orléans dit jazz, non ? Ce qui m’a fait hurler de rire (manière de parler, j’étais plutôt infiniment triste d’un tel gâchis!) c’est de voir le type qui était en charge de la culture dans le consortium de richards qui pilote la reconstruction. Le mec est avocat et businessman et il a des idées très claires : »La Nouvelle Orléans, dit-il en substance, doit parier sur ce qu’elle a déjà : son capital culturel. Nous sommes le berceau du jazz? OK, vendons ça. Nous deviendrons la capitale d’un tourisme culturel rationalisé. Les gens viendront de partout pour écouter du jazz, visiter Bourbon Street and so on et il n’y aura aucun raté. Ca rapportera beaucoup d’argent à cette ville. »
Je ne doute pas un seul instant du succès de cette entreprise. Toute la Louisiane pourrait bien se transformer en un vaste Disney Jazzy où on viendrait écouter un jazz aseptisé. En plus, ayant viré les pauvres, il est évident que la criminalité va diminuer. Le seul problème c’est qu’il se pourrait bien que l’on se rende compte après coup que les pauvres que l’on a viré étaient ceux là même qui créaient ce jazz qui sert de fonds de commerce à la ville. Un problème ? Je suis sûr que l’honorable avocat en charge de la culture trouverait que c’est là un détail insignifiant; sans compter que cette idée que les pauvres seraient les créateurs du jazz est plus que douteux : après-tout Miles Davis était fils de médecin !
Pourquoi le jazz est notre vrai sauveur

C’est Hubert Reeves ou Stephen Jay Gould (je ne me souviens plus lequel des deux et n’ai aucun moyen de vérifier pour le moment, sorry!) qui a une fois écrit que la nature jouait du Jazz. Cette analogie se comprendra si l’on compare un concert de jazz à un concert de musique classique. La qualité du concert classique réside certes dans l’inspiration ou la capacité à ressentir et à transmettre l’émotion contenue dans le morceau qu’il interprète, mais c’est avant tout un exercice tendant à interpréter la partition écrite par le compositeur et dans ce cadre la fidélité est chose importante. A l’inverse, dans un concert de jazz, la fidélité est presque un péché mortel. Les musiciens de jazz suivent un thème mais improvisent largement à chaque concert. Chaque concert est alors un nouveau recommencement d’où peut surgir soit une fidèle interprétation, soit un miracle par lequel le morceau se recrée totalement. Soutenir que la nature joue du jazz, c’est dire que la création, l’apparition des espèces ne s’est pas faite selon un plan préétabli mais par une sorte d’improvisation autour de thèmes reconnaissables par la science.
J’ai repensé à ce caractère jazzy de la nature en discutant avec un ami Houellebequien gentil. Je sais, c’est étonnant, mais il y a des personnes dont je pense que nous pouvons sans injustice les qualifier de Houellebequien ; plus étonnant encore, certains de ces Houellebequiens ne sont pas misanthropes et encore plus surprenant, certains de ces Houellebequiens-pas-misanthropes-et-même-gentils, sont mes amis ! Je discutais donc avec mon ami Houellebequien gentil, et en bon Houellebequien il soutenait que le clonage préconisé à la fin des Particules élémentaires était tout à fait viable. En fait, cela lui semblait même carrément souhaitable voire la seule solution intelligente pour éradiquer la majorité des problèmes que l’humanité connaît actuellement. Imaginez-vous donc, vous sélectionnez un nombre limité de patrimoines génétiques qui sont les meilleurs possibles, vous faites de sorte que chaque membre l’humanité hérite de l’un de ces patrimoines et vous veillez bien à ce que tous les épidermes soient de la même couleur. Ne serait-ce pas la fin de la plupart des maladies, du racisme et même des chocs culturels pour peu que ce clonage s’accompagne d’une unification culturelle !
A priori, c’est là une idée totalement sensée; non seulement progressiste mais également humaniste. Le seul problème c’est que la nature joue du jazz. Je m’explique, s’il y avait une partition qui était scrupuleusement suivie comme dans le Classique, les maladies qui nous guettent pourraient être répertoriées une fois pour toutes et nous pourrions définir un génome optimal dont nous nous arrangerions pour que toute l’humanité le partage. Les hommes seraient alors protégés contre toutes les maladies possibles et l’utopie de Houellebeque serait une bonne solution. Mais, étant donné que la nature fait du jazz, de nouvelles maladies apparaissent sans cesse et le clonage est dangereux parce que si l’on formate l’humanité et qu’il apparaisse une maladie à laquelle nous résistons mal, c’est l’humanité toute entière qui sera décimée. Nous aurons peut être éradiqué le racisme et certaines maladies, mais au prix d’un suicide collectif. Face à l’ambiance jazzy qui règne dans la nature, le salut de l’humanité ne viendra donc pas du clonage mais de notre essence Jazzy i.e. du fait que notre génome change au cours de la reproduction nous apportant parfois de nouvelles protections contre des maladies qui ne sont même pas encore apparues ! Ces mutations ne peuvent pas prendre n’importe quelle forme et c’est ce qui en fait du vrai jazz : il y a un thème général autour et à partir duquel se fait l’improvisation. Il se pourrait donc bien que la survie de l’humanité ne soit du qu’à notre capacité à jouer du jazz avec notre génome. J’aimerais pas dire mais si l »on y réfléchis vraiment, cela veut dire que si Miles était un bon jazzman, vous êtes encore meilleur que lui vous qui faites du jazz avec votre génome et qui êtes toujours sur terre!
PS : Je suis sûr que vous vous demandez pourquoi je choisis Keith Jarrett pour illustrer ce post. C’est parce que ce pianiste génial est l’illustration presque caricaturale de perfection de ma théorie du Jazz. Il est connu pour être capable de vous faire vivre soit le meilleur concert de votre vie soit le pire en fonction de son inspiration du moment.
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