Les policiers sont intelligents

Je l’avoue, j’ai un préjugé assez tenace contre les policiers. Je sais bien que ce n’est ni intelligent, ni bon d’avoir des préjugés mais c’est ainsi. En plus ce préjugé couvre le globe terrestre dans son intégralité: que ce soit à New York, Dakar ou Paris, je crois que les flics forment une engeance finalement assez peu recommandable ayant une fâcheuse tendance à se montrer obséquieuse avec les classes supérieures de la société et à traiter les pauvres comme des délinquants. OK, j’exagère un peu mais à peine!
En tout cas, depuis que je suis en France, je crois avoir de bonnes raisons de conserver cette image négative des policiers. Voir tous les jours des gens se faire fouiller dans le métro parce qu’ils ont contrevenu à la loi Evin ou certains de mes amis habitant dans des Cités subir deux à trois fois par semaine des contrôles d’identité en rentrant chez eux, ne me donne pas vraiment envie de réviser ma position. Certes, je suis le premier à reconnaître que le boulot de flic n’est pas facile. Ayant pour mission de protéger la société de l’intérieur, les policiers en ont une vision déformée étant en permanence en contact avec ce qu’il y a de pire dans le corps social. N’empêche que ce n’est pas une raison pour se comporter aussi mal que ceux qu’ils sont censés combattre.
Avec une idée aussi peu flatteuse des policiers français, il ne vous étonnera pas que je vous dise que je n’en attendais pas grand bien. En particulier, quand j’ai appris qu’il y avait des élections syndicales en cours, je m’attendais à ce que le syndicat Alliance se situant résolument à droite et clairement pro-Sarkozy remporte sans coup férir ces consultations. Après tout, ce syndicat symbolise tout ce qui m’horripile dans la vision du monde simpliste selon laquelle il suffit par de jeter en prison tous les enfants qui brisent les vitres du voisinage pour faire baisser la délinquance. Et cette manière de voir semble particulièrement populaire en ce moment en France et à entendre le discours des policiers invités par les médias [et celui de leur ministre de tutelle], ils ne paraissent pas les derniers à soutenir cette position d’extrême sévérité.
J’ai donc été agréablement surpris d’apprendre que les policiers français ont majoritairement voté pour le syndicat de gauche. Vous rendez-vous compte? Ils ont voté pour un syndicat qui pose l’hypothèse totalement surréaliste que pour combattre la délinquance, il serait peut être bon de s’arrêter cinq minutes, de réfléchir aux causes du mal et que peut-être il ne suffit pas de mettre tout le monde en prison pour régler le problème complexe de la délinquance. J’avoue que je suis abasourdi de voir les policiers français faire preuve d’une telle maturité. En même temps c’est assez bizarre comme situation: les flics se mettent à voter intelligemment au moment même où les politiciens adoptent des lois ultra répressives.
Et au fait, si autant de policiers soutiennent cet autre syndicat comment se fait-il que les représentants du syndicat Alliance soient omniprésents dans les plateaux télés?
Terminons par un petit test: je n’ai pas nommé le syndicat concurrent d’Alliance; combien d’entre vous, chers lecteurs, saurez en retrouver le nom? Si vous n’y arrivez pas, demandez-vous si vous connaissiez avant le syndicat Alliance et si oui essayez de savoir comment il se fait que ce soit le seul que vous connaissiez.
Le Problème de Gettier
Ce fasciste tranquille qu’était Platon, quand il ne passait pas son temps à honnir la démocratie et les démocrates, disait de temps à autre des choses intelligentes. Ainsi dans le Théétète a-t-il défini la connaissance comme une croyance qui est tout à la fois vraie et justifiée. Je précise. Au moment où j’écris ces mots (jeudi 16-11-06 à 22h45) je crois que cette chère Ségo va ratatiner les deux gentlemen qui se trouvent sur son chemin mais je ne le sais pas selon la définition de Platon parce que même si j’ai de bonnes justifications pour penser ça, il n’est pas (encore?) vrai que Mlle Royal ait remporté les élections. A l’inverse je sais que le pull over que je porte est bleu parce que d’une part il est vrai que le pull est bleu et d’autre part parce que je le crois et ai de bonnes justifications pour le croire: je porte mes lunettes, la luminosité de la pièce dans laquelle je me trouve est bonne…etc La définition de Platon est donc pas mal je trouve car elle rend assez simplement compte de la différence entre savoir et croyance.
Il y a quand même un problème que nous avons mis presque deux mille ans à voir. Prenons un exemple. Tous les matins, il y a un homme qui sort de mon immeuble en tenue de sport et que je vois trottiner vers les berges de la seine. Au cours d’une conversation anodine avec un autre voisin (pour les parisiens, ceci est une expérience de pensée ne vous étonnez donc pas que je bavarde avec mes voisins, c’est déroutant je sais mais dans les expériences de pensée il se passe parfois des choses bizarres!), je lui fais remarquer qu’il y a un vrai sportif dans l’immeuble: été comme hiver, il fait son footing tous les matins! Donc je sais qu’il y a un sportif dans mon immeuble. Je le crois, c’est vrai et j’ai une bonne justification pour le croire. C’est vrai? En fait oui et non. Le type que je vois courir tous les matins ne fait pas son footing mais part rejoindre sa très compréhensive épouse et ses enfants après avoir passé la nuit avec ma non moins compréhensive voisine. En revanche, juste après que je parte, il y a un de mes voisins qui fait vraiment son footing tous les matins. La question maintenant est de dire si je sais vraiment qu’il y a un sportif dans l’immeuble. La perplexité dans laquelle vous vous trouvez montre que la définition de Platon n’est pas suffisante. Ce genre de problème a pour la première fois été soulevé par le philosophe américain Edmund Gettier dans un petit article de 1963 et a suscité une vaste littérature qui a été nommé comme de bien entendu la Gettieriologie (voir Shope 1983). Je vous en parle parce qu’en ce moment je suis vaguement en train de bosser dessus et aboutis à des conclusions assez bizarres mais que j’assume totalement. Je vous parlerai peut être un jour de mes conclusions mais pour le moment je pense que ce serait amusant pour mes chers lecteurs de se faire les dents dessus et d’essayer de faire mieux que Platon et Gettier réunis. Si vous trouvez quelque chose, faites moi signe surtout si ça vous semble farfelu parce que les idées les plus farfelues sont toujours les meilleures.
Et au fait, Ségo a effectivement ratatiné ces deux gentlemen; c’est bien la première fois que je fais un bon pronostic politique mais c’est vrai que c’était simple!
Deux mots : cagoulés & antisémitisme
La nouvelle mode dans ce beau pays qu’est la France consiste à porter une cagoule, à prendre de l’essence et à s’en aller en bande pour brûler des bus. L’on pourrait penser que cette mode est stupide au plus haut point mais je me garderais bien de me prononcer sur un point aussi technique. Après tout, je n’ai jamais été particulièrement trendy et n’ai donc aucune compétence pour juger les tendances que je qualifierais de brûlantes !
Une chose sur laquelle je ne suis pas totalement incompétent en revanche, c’est sur la langue française que je parle plus ou moins correctement. Je me permettrais donc de faire un commentaire, un tout petit commentaire de rien du tout, sur la terminologie utilisée par ceux dont le noble métier est d’utiliser au mieux cette belle langue de Molière; je veux parler des journalistes français.
J’avoue que la première fois j’ai été surpris, la deuxième fois étonné, la troisième fois j’ai douté de mes compétences, la quatrième fois j’ai donc ouvert mon dictionnaire pour trouver à ma grande horreur que j’étais toujours compétent et la cinquième fois (ou plus exactement, à partir de la cinquième fois) j’ai décidé d’écrire ce post. De quoi je parle? De l’emploi généralisé par ces professionnels de l’information du qualificatif »cagoulés » pour parler des émeutiers.
Comme tout locuteur à peu près compétent de cette langue subtile qu’est le français le sait, quelqu’un qui porte une cagoule n’est pas »cagoulé » mais »encagoulé ». C’est comme ça, j’y peux rien. Au début, ça m’a juste fait sourire: j’ai trouvé amusant que des journalistes censés être sortis des meilleures écoles françaises commettent, pendant toute une semaine, une faute aussi grossière. Après, une petite inquiétude m’est venue. Cette désinvolture ne dit-elle pas quelque chose de plus profond sur cette corporation? Vous avez des types dont le métier est d’informer la population et de développer son esprit critique et ce sont ces gens là, qui commettent tous tant qu’ils sont la même faute! Comment des moutons pareils pourraient-ils éduquer qui que ce soit et surtout comment se fier à leurs capacités d’enquête?
Je suis sûr que vous vous dites que je suis totalement paranoïaque mais je pense que ces questions terminologiques sont plus importantes qu’elles ne paraissent à première vue. Toujours à propos des banlieues françaises, ou plutôt du discours journalistique sur ces banlieues, il y a une autre erreur terminologique qui m’énerve prodigieusement; c’est de dire que les jeunes musulmans de banlieue sont antisémites. Attention, je ne suis pas en train de nier que les jeunes juifs qui vivent en banlieue soient victimes de brimades voire carrément de persécution. Je me prononce juste sur l’exactitude terminologique: la plupart des jeunes musulmans ne peuvent pas être antisémites tout simplement parce qu’ils sont …. sémites! En effet, la plupart de ceux qui sont dits antisémites en banlieue sont des arabes or les arabes sont des sémites ergo… Ca a l’air d’être de l’enculage de mouches ce que j’écris là mais je pense que c’est important. Expliquer à un jeune crétin ignorant reprenant des conneries monumentales habituelles sur les juifs que, pour autant que l’on puisse considérer que ces derniers appartiennent à un groupe humain c’est le sien me semble assez sain parce que cela l’oblige à réfléchir et à se poser des questions sur ce qu’il est, ce que sont ceux qu’il attaque et pourquoi il les attaque. OK, ce que je dis là est d’un optimisme absolument fou et une telle prise de conscience est hautement improbable mais ce qui est bien dans ce monde c’est que le pire n’est jamais certain…. Sauf peut être quand ceux qui doivent éclairer les autres ne font pas leur travail.
La serendipité d’Ekman

Il est un néologisme que les historiens des sciences emploient et que j’adore: c’est serendipity. Simplement traduit dans la littérature francophone par sérendipité, ce mot signifie à peu près : »art de trouver ce que l’on ne cherche pas ». Ce néologisme a été forgé par le sociologue des sciences R. K. Merton (d’après la nouvelle de Horace Walpole Les trois princes de Serendip) pour caractériser l’état d’esprit dans lequel se trouveraient les scientifiques après les révolutions scientifiques de la fin du XIXe et du début du XXe siècles. Je suppose que l’une des raisons pour lesquelles j’aime bien ce néologisme c’est que ça me permet de justifier mon (in-)activité et le chaos qui règne parfois dans ma tête à propos de mes recherches. A chaque fois que quelqu’un me demande sur quoi je travaille, ce que j’espère trouver en faisant, disons de la sémantique formelle par exemple, je me redonne du courage en pensant très vite serendipity puis lui explique laborieusement tout en sachant qu’il y a de bonnes chances qu’il en arrive à la conclusion qu’il faut être totalement stupide pour perdre son temps sur des choses pareilles!
Vous voyez donc que j’ai une bonne raison d’aimer ce mot; mais ce qui m’y a fait repenser ces derniers temps, c’est lire le nom de Paul Ekman dans un papier sur la lutte contre le terrorisme. Ekman est un psychologue américain qui a travaillé sur quelque chose de presque philosophique : l’universalité de l’expression des sentiments chez les humains de culture différentes. On y pense presque jamais, mais c’est quand même étonnant qu’il suffise de voir le visage d’un noir, d’un blanc, d’un jaune, d’un homme ou d’une femme pour dire de manière presque infaillible que ce visage exprime de la joie, de la colère, de la déception ou de la haine, et ce, quel que soit notre culture, notre niveau d’éducation ou notre race. Cette connaissance intuitive avait déjà été abordée par Darwin puis étudiée par Duchenne de Boulogne & Eibl-Eibesfeldt, mais Ekman y apportera toute la puissance de la biologie. Ce qu’il fait, c’est qu’il cartographie toute la musculature du visage humain puis il cherche quelles contractions de quel(s) muscle(s) correspondent par exemple à ce que nous identifions de manière trans-culturelle à de la colère, de la joie ou de la déception. Ca donne des énoncés du genre : »coins des lèvres se relevant en direction oblique qui haussent le triangle sous orbital ». Vous aurez bien évidemment reconnu là une description objective du sourire !
Je suis sûr que vous vous dites que c’est bien gentil mais ça n’a rien à voir avec la serendipité. Vous avez raison…, sauf que ce n’est pas dans un manuel de psycho ni dans un cours de philosophie que j’ai entendu parler d’Ekman pour la première fois; mais en préparant un examen d’informatique ! Le truc c’est qu’après avoir développé son système, Ekman, qui n’est pas américain pour rien, a vendu son expertise à des boites d’IA qui créaient des jeux vidéos et autres robots animés pour rendre leur expression faciale plus réaliste. Pas mal non, pour quelque chose qui se trouvait à la lisière de la philosophie?
Quid de la lutte contre le terrorisme? Là j’avoue que j’ai été scié. Voici comment s’est faite cette dérive (NB: le mot dérive est pris ici en son sens le plus neutre, je n’ai [presque] rien contre une telle application de la science.). Supposez que vous soyez en train d’interroger joyeusement un suspect. Vous : »Dis-moi donc où tu as posé cette bombe? »
Le suspect : »Mais de quoi vous parlez ? Je suis un simple étudiant qui apprend à piloter des avions de tourisme. » En l’état actuel des choses, vous n’avez d’autre choix que de torturer ce pauvre suspect ce qui risque de vous l’aliéner définitivement sa famille et lui. S’il se trouve qu’il était réellement un membre de la famille royale saoudienne en vacance en Floride et ayant décidé sur un coup de tête d’apprendre à piloter, c’est …hum, disons regrettable. Aussi est-il tout à fait compréhensible que l’un des buts actuels de l’armée américaine soit de trouver le moyen de reconnaître un menteur de quelqu’un qui dit la vérité. Personne ne prend de plaisir à torturer des innocents n’est-ce pas? C’est là qu’intervient le FACS d’Ekman, en effet, identifier un menteur, ce n’est rien d’autre que repérer les mouvements de ses muscles faciaux qui le trahissent. N’écoutant que son devoir, Ekman a donc envoyé un de ses collaborateurs initier les interrogateurs et autres employés d’aéroport US à l’art délicat d’étudier les muscles faciaux.
Un dommage collatéral de cet entraînement me semble-t-il est particulièrement inquiétant pour les Français : supposez que vous alliez aux States et qu’en bon Français vous stockiez du vin et du camembert dans votre valise. Si le préposé aux douanes vous interroge sur le contenu de cette valise et que vous mentiez comme il se doit en pareil cas, vous risquez de vous retrouver à Guantanamo grace à Ekman et Franck. Mais vous conviendrez avec moi que ce n’est pas très cher payé pour avoir des avions plus sûrs!
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