Generalized Quantifiers for Dummies

Avertissement: Si vous ne savez pas ce qu’est la différence entre un quantificateur existentiel et un quantificateur universel ni ce à quoi les signes ésotériques de l’image font référence, vous risquez de trouver ce post passablement ennuyeux. Je vais essayer d’être clair mais je ne vous promets pas que vous devriez le lire. Pour les autres, je vais devoir adapter la notation vu la pauvreté du choix de police sur ce blog.
J’écris ce post sur les quantificateurs généralisés parce que, quoique je me considère comme plutôt bon en logique, il y a un an je ne savais absolument rien de la théorie des quantificateurs généralisés (TQG). J’en ignorais même totalement l’existence. Pour autant que je sache, je ne suis pas le seul philosophe d’orientation analytique à être dans ce cas. Cet article pourra donc être utile à certains d’entre nous. En tout cas, je vais essayer de pondre le point de départ que j’aurais voulu trouver quand je commençais à m’intéresser à la TQG.
Commençons par le commencement. L’une des premières choses que nous apprenons en logique, c’est qu’il faut se méfier des langues naturelles. Nous savons bien, nous, que la structure grammaticale des langues masque leur structure logique. Que les langues naturelles sont ambiguës et qu’elles nous mènent à des inférences fausses. Depuis Leibniz au moins, notre but était de créer un langage formulaire dépourvu d’ambiguïté grace auquel nous pourrions mener nos raisonnements et résoudre pacifiquement toutes nos controverses par le calcul. De l’avis général, la logique des prédicats développée au début du siècle dernier par Frege constitue un pas décisif vers la réalisation du programme leibnizien.
Petit rappel: dans cette logique, nous avons:
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deux quantificateurs: le quantificateur universel (V ici qu’on peut lire: quel que soit) et le quantificateur existentiel (E ici qui se lit: Il existe)
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des lettre de prédicats qui remplacent des propriétés et sont notés en majuscules (F, G, H… par exemple)
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des variables et des constantes d’individus notés en minuscules.
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et des connecteurs: et (& ), ou ( ici OR ), si alors (—->), si et seulement si ()…
Moyennant ce petit lexique de rien du tout et un cerveau qui fonctionne correctement, nous nous faisons fort de formaliser tout énoncé du langage et donc de faciliter les raisonnements de ceux qui nous ferons confiance! De beaux exemples valant mieux qu’un long discours, traduisons donc des énoncés du français en LP.
(a) L’homme est détestable: V x[H(x) —-> D(x)]
(b) Quelques hommes sont intelligents: Ex[H(x) & I(x)]
(c) Les femmes sont plus intelligentes que les hommes: Vx Vy [(F(x)&H(y))—->P(x,y)]
Le lexique me paraît transparent mais donnons le malgré tout: H(x): x est un homme, D(x): x est détestable, I(x): x est intelligent et P(x,y): x est plus intelligent que y.
Quelques remarques rapides. Nous voyons qu’alors que leurs formes grammaticales sont similaires, (Sujet/ Verbe/Complément ou Sujet/Prédicat si vous êtes aristotélicien), la structure logique de (a) et (b) sont très différentes avec un quantificateur existentiel et une conjonction pour (b) et un quantificateur universel et une implication pour (a). Quelques se traduit par le quantificateur existentiel qui signifie au moins un individu ce qui peut dérouter un non logicien qui se dirait que par quelques nous entendons forcément plusieurs. Je pourrais faire d’autres remarques sur les conditions de vérité de l’implication mais pour l’instant évitons! Bien sûr pour le logicien, ces remarques ne sont absolument pas des limites de sa formalisations mais bien des confirmations de ce qu’il disait à savoir que les langues naturelles sont tellement mal foutues qu’elles ont besoin d’être formalisées pour que le locuteur ordinaire comprenne ce qu’il a vraiment dit et même parfois ce qu’il a voulu dire. Alléluia!
Maintenant, intéressons nous à la proposition suivante:
(d) La plupart des femmes sont belles
Devant une vérité aussi lumineuse, le logicien semble perdre ses moyens! En effet, cette proposition est totalement intraduisible en logique des prédicats. Cette impossibilité se manifeste également quand on considère (e) ou (f)
(e) Peu de politiciens sont honnêtes
(f) Plus de la moitié des martiens sont verts
L’on pourrait se dire que c’est parce que nous n’avons pas un quantificateur contrôlant des variables comme le font déjà les quantificateurs existentiel et universel. Pour en avoir le coeur net, introduisons donc un quantificateur Q qui signifierait la plupart. Dans ce cas, on formaliserait (d) en :
(d’) Qx [F(x)—-> B(x)]
Si nous retranscrivons littéralement (d’) en langues naturelles, nous obtenons: Pour la plupart des individus x que nous prenons, si x est une femme alors x est belle. Cette formulation est donc inadéquate puisqu’elle quantifie sur l’univers tout entier alors que la proposition initiale était uniquement concernée par les femmes. Que faire alors?
Pour comprendre pourquoi nous n’y arrivons pas et trouver une formalisation adéquate, réfléchissons de manière intuitive en nous aidant d’ensembles. Si nous considérons (a), cette proposition exprime que l’ensemble des individus mâles est contenu dans l’ensemble des individus détestables. La proposition (b) quant à elle exprime le constat que l’intersection entre l’ensemble des individus mâles et l’ensemble des individus intelligents n’est pas vide. Si à présent nous nous intéressons à (d), cette proposition nous dit que l’ensemble des individus de sexe féminin et qui sont belles contient plus d’individus que celui des individus du même sexe qui ne sont pas belles. Il s’agit donc non pas de comparer des individus mais des ensembles d’individus. Ce que les théoriciens des QG nous montrent, c’est que les quantificateurs existentiels et universels sont des cas extrêmes de quantification en ce qu’ils utilisent soit la totalité de l’univers, soit un seul individu de cet univers. En dehors de ces cas extrêmes, on peut définir autant de quantificateurs que de partitions de l’univers. Étant donné que les quantificateurs sont non pas des opérateurs de liage d’individus mais des opérateurs sur des ensembles, on comprend pourquoi il était impossible de les exprimer dans la logique des prédicats. Cette logique est en effet une logique de premier ordre alors que la quantification sur des ensembles est une opération du second ordre.
Comment faire alors pour formaliser des phrases avec La plupart, peu de etc? Il suffit de voir que l’opérateur Q que nous avions défini est non pas un quantificateur mais un simple déterminant. Ce qui joue le rôle de quantificateur dans cette phrase, c’est tout le groupe nominal. Nous obtenons alors la formalisation suivante:
(d ») [QxF(x)][B(x)]
Ce qui peut se lire littéralement: Pour la plupart des individus x tels que x est une femme, x est belle. Cette formalisation est parfaitement équivalente à notre phrase initiale. Élégant non?
Remarquez que nous retrouvons exactement la forme Syntagme Nominal/Syntagme Verbal si chère aux grammairiens et tellement décriée par les logiciens!
Notons une dernière chose: dans cette formalisation tous les groupes nominaux sont des quantificateurs et ceci est même valable pour les noms propres. Pour le comprendre considérons l’exemple suivant:
(g) Jean est un parisien
La traduction en logique des prédicats des cet énoncé est P(j) mais une autre traduction possible de cet énoncé est la suivante:
(g’) [Jean x] [P(x)]
Dans cette formalisation, [Jean x] n’est pas un nom propre mais un quantificateur qui dénote les familles d’ensembles contenant l’individu Jean. Aussi (g’) ne sera-t-elle vraie que si l’ensemble des parisiens est un membre de cette famille d’ensembles.
J’espère que cette TQG for Dummies sera utile. Le but du jeu n’est pas de faire de mon lecteur un quantificateur de choc mais juste de dire aux logiciens que ça existe et de vous donner envie d’y jeter un coup d’oeil par vous mêmes.
Pour se mettre au point:
Barwise J. & Cooper R, 1981 Generalized Quantifiers and Natural Language in Linguistics & Philosophy 4 pp. 159-219
Lewis, David, 1970, General Semantics, in Synthese 22 pp. 18-67
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