Le Pen et le syndrome Tati
Je ne sais pas si vous connaissez la chaine de magasins Tati. Si vous vivez en France, il est probable que vous en avez au moins entendu parler. Si vous ne connaissez pas, disons que c’est une sorte de grand magasin créé après la seconde guerre mondiale et qui avait la double spécificité de vendre absolument tout et n’importe quoi à des prix défiant toute concurrence et de viser expressément une clientèle populaire en ce sens que les vendeurs avaient pour consigne de tout faire pour que cette clientèle s’y sente à l’aise et que le fait de trier et de déplacer les articles était non seulement toléré, mais encouragé. C’est un modèle économique redoutablement efficace et qui a marché pendant presque 50ans si je ne me trompe. Puis à un moment donné, le fils du créateur de cette chaine de magasin a eu ce qu’il croyait être une idée de génie mais qui n’est rien d’autre qu’une énorme stupidité.
L’idée lumineuse de Monsieur Tati Jr était la suivante: « j’ai les pauvres, ils achètent tout plein de choses pas chers dans mes magasins pour pauvre et ça m’a permis d’être riche. Mais là je vais être encore plus riche parce que même les pauvres ont parfois envie/besoin d’acheter des articles de luxe. Ils se marient, marient leurs filles…etc. ET pour ce faire, ils économisent des années afin d’acheter de l’or, des bijoux ou des costumes de luxe. Il faut juste que ce soit moi qui le leur vende et je suis roi de France! » Aussitôt pensé, aussitôt fait. Monsieur Tati Jr réserva les meilleurs emplacement de Paris et y créa de luxueux magasins Tati Luxe où il vendait des diamants, des costumes de Haute Couture, des robes de Grand Couturiers.
Il faut reconnaître que monsieur Tati Jr était pile dans l’air du temps. Tout le monde parlait de diversification ou de rentabilité et l’industrie du luxe était notoirement l’une des plus rentables de toutes. Il n’empêche qu’il aurait suffi de réfléchir deux secondes pour se rendre compte que cette idée ne pouvait pas marcher et cela pour une raison très simple qui est la suivante. Supposons que je sois pauvre [ça tombe bien, je le suis] et que j’économise des années pour épouser la dame de mes pensées. Je veux que tout soit parfait et j’ai économisé de quoi acheter une superbe alliance en or, un costume et une robe de grand couturier. On ne se marie qu’une fois dans la vie n’est-ce pas? Vous pensez que pour une occasion pareille, je m’amuserais à aller dans un magasin Tati? C’est la seule occasion de ma vie où je pourrais jamais rentrer dans un magasin de la place Vendôme sans me faire chasser par le vigile et vous voulez que je n’en profite pas? Faudrait vraiment être con! Je veux le même magasin où mon patron admiré achète les bijoux qu’il offre à sa maitresse, quoi qu’il m’en coute! Second cas, supposons à présent que je sois riche. J’ai mes magasins attitrés. Qu’est-ce que j’irais fiche chez les ploucs sortis du XVIIIe? Résultat pathétiquement prévisible, non seulement Tati Luxe a fait faillite mais en plus il a entrainé dans sa chute ce qui avait fait la fortune de la famille Tati i.e. les magasins pour pauvre qui désormais appartiennent à une chaine italienne. C’est ce que je nomme le syndrome Tati: un héritier qui se croit trop important pour gérer la modeste affaire de son père et qui dilapide le patrimoine familial en essayant de gagner en respectabilité.
Le weekend dernier, j’ai repensé au syndrome Tati en écoutant vaguement le très respectable Jean-Marie Le Pen s’exprimer lors de l’université d’été du Front National. Si vous y réfléchissez, c’est exactement du syndrome Tati que Monsieur Le Pen a été victime. Vous aviez un digne homme d’affaire (JMLP) qui a passé sa vie entière à monter et faire fructifier son business. De même que Monsieur Tati Sr avait ses pauvres, Monsieur Le Pen Sr avait ses racistes et ses beaufs. Il leur vendait de l’espoir, la liberté de dire des horreurs sur ceux qui sont différents d’eux, il leur fournissait des bouc-émissaires… etc. C’était donc une affaire rondement menée, une industrie de service tout à fait rentable et grâce à laquelle, à plus de 60ans, Monsieur Le Pen pouvait s’enorgueillir d’être l’un des hommes politiques les plus riches de l’hexagone. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’à ce que Mlle Le Pen Jr, à l’instar de M. Tati Jr se pique de respectabilité et pense qu’il était possible pour la Maison Le Pen de se diversifier, de virer les fondamentaux (skinheads, humour gras, racisme et antisémitisme), d’accepter les noirs et les arabes à condition qu’ils soient xénophobes etc. Bien évidemment, une fois que la Maison Le Pen avait renié son coeur de cible, qu’il avait chassé de ses terres le bon raciste bien vulgaire, il a suffi à Mr Sarkozy de deux ou trois propos bien calibrés sur le pedigree des jeunes de banlieue ou sur les moutons que l’on égorge dans des baignoires pour rafler la mise et récupérer le raciste en mal de cohérence. Pour l’instant la Respectable Maison Le Pen n’a pas encore totalement chuté mais c’est juste parce que le vieux lion est toujours vivant et je me demande si, devant le risque que son patrimoine soit dilapidé il effectuera le retour aux fondamentaux que tous les racistes, tous les xénophobes et beaucoup d’extrémistes de droite appellent de leur vœux. Un ou deux dérapages contrôlés sur les noirs qui courent plus vite que les blancs, les musulmans qui violent nos femmes ou les juifs et tout devrait rentrer dans l’ordre. Rien de personnel bien sûr, c’est le business qui veut ça et que ça serve de leçon à toutes ces jeunettes qui pensent que l’on peut être le Front National et renier les skinheads!
Voici un parralèle saisissant et que je trouve sans vouloir heurter ton humilité brillante. Merci et bravo pour cet article. Comme toujours la pointe d’ironie est là.
Amicalement
Malaïka
C’est une honte mais je passe toujours chez toi sans commenter. J’espère que tu vas bien.