Hady Ba's weblog

Adorer Dieu et le diable

Posted in Economie by hadyba on mars 31, 2011

Une justification de l’ultralibéralisme de Hayek est son darwinisme social. Il pense que les hommes ont des aspirations, des connaissances et des capacités différentes. Dans la sphère publique, ces hommes interagissent selon ces différents paramètres et aboutissent, dans la poursuite de leur propre intérêt, à un équilibre. Le marché ne fait qu’agréger toute l’information disponible et retourner l’équilibre qui y correspond. Nous sortons tous le matin pour chercher notre pitance et à la fin de la journée, selon leur ingéniosité, leur force et les circonstances, certains rentrent repus alors que d’autre meurent en chemin. Il est absurde nous dit Hayek de se placer du point de vue de l’affamé et de dire que le résultat est injuste ; il n’est ni juste, ni injuste c’est simplement ainsi qu’est le monde. Nous ne pouvons échapper à la lutte pour la survie. Cette dernière, n’est pas limitée aux sociétés primitives. Si la démocratie libérale est supérieure aux totalitarismes, c’est qu’elle laisse l’individu libre de prendre des initiatives et de créer de la richesse s’il le désire. Bien sûr, Hayek pense que les démocraties libérales réelles ne sont pas encore assez libérales. Étant donné que : « la fonction des prix et des salaires est moins de rétribuer les individus pour ce qu’ils ont fait, que de leur dire ce qu’ils devraient faire (règles de conduite) dans leur propre intérêt comme dans l’intérêt général. », une société véritablement démocratique devrait minimiser les interférences du politique dans l’économique. Par exemple, les indemnités chômage, la sécurité sociale publique, le salaire minimum… ne devraient pas exister. Mais pourquoi devrait-on faire confiance à la sélection naturelle plutôt que d’essayer d’en corriger les effets ? La justification de Hayek était la suivante :

 

La liberté laissée à chacun d’utiliser les informations dont il dispose sur son environnement pour poursuivre ses propres desseins est le seul système qui permette d’assurer la mobilisation la plus optimale possible de l’ensemble des connaissances dispersées dans le corps social […]Si la liberté est devenue une morale politique, c’est par suite d’une évolution naturelle qui fait que la société a progressivement sélectionné le système de valeurs qui répondait le mieux aux contraintes de survie qui étaient celles du plus grand nombre .

 

Quand j’ai lu cela pour la première fois, je me suis dit que Hayek était fondamentalement un déterministe Old School même s’il semble soutenir que c’est parce que nous ne pouvons pas tout savoir que nous devrions nous en remettre au marché. Souvenons-nous que la profession de foi du déterminisme universel se trouve dans L’essai philosophique sur les probabilités de Laplace. Être déterministe, ce n’est pas dire que nous devons tout savoir, c’est dire que dans les cas où nous ne savons pas, ce n’est pas parce que le monde est inconnaissable per se, mais parce que nos facultés mentales et notre état de connaissance font que nous ne savons pas tout. De ce fait, nous complétons notre savoir par le biais de la théorie des probabilités. Dans cette vision du monde, le hasard n’est pas consubstantiel au monde mais est un mot creux désignant notre ignorance du mécanisme causal à l’oeuvre.

 

Hayek me paraissait déterministe en ce sens là parce qu’il considérait qu’il existait un certain nombre de règles (certes trop complexes pour être connues a priori) auxquelles les agents obéissaient et qui faisaient que l’agrégation de leurs comportements aboutissait à un équilibre qui était le meilleur possible pour le plus grand nombre. A cette vision du marché, il me semblait que l’on pouvait opposer les travaux de Mandelbrot qui montraient que les fluctuations de la bourse obéissent à ce qu’il nomme le hasard sauvage. Alors que l’on pouvait tirer de Hayek la certitude que le marché laissé à lui même aboutissait à un équilibre plus ou moins satisfaisant, Mandelbrot nous montrait que le marché libre produisait nécessairement des fluctuations extrêmes. Ce qui explique que des krachs boursiers surviennent dans des places financières dérégulées. Ce n’est pas là une anomalie mais une conséquence prévisible du hasard sauvage à l’oeuvre dans le marché. En bon keynésien, la conséquence que je tirais de cette analyse était qu’une certaine dose d’intervention gouvernementale était indispensable parce que même si nous savons que les gouvernements peuvent être incompétents, nous savons avec encore plus de certitude que des fluctuations extrêmes et extrêmement dévastatrices pour toute l’économie surviendront dans des marchés libres.

 

Si j’écris ce post, c’est que suite à la discussion qui s’est développée sous ce billet, j’ai réalisé que Nassim Nicholas Taleb se réclamait à la fois de Hayek et de Mandelbrot. J’ai un peu l’impression que cela revient à vouer un culte à Dieu et au Diable en même temps. Qu’en pensez-vous ?

PS : Si cet article vous a intéressé, vous pouvez tout aussi bien jeter un coup d’oeil à ceci: CoursFlorian(pdf)