Un Signal de la Police Sénégalaise?
C’est drôle comme la théorie des jeux a tendance à pointer le bout de son nez dès que les choses deviennent un peu complexes.
Une théorie intéressante dans ce champs est la théorie du signal qui dit que très souvent, il y a une asymétrie dans la détention de l’information et il faut que les intervenants du marché trouvent le moyen de communiquer ce qu’ils savent à ceux avec qui ils doivent potentiellement interagir. Diego Gambetta a par exemple appliqué la théorie du signal à son étude de la mafia dans le sud de l’Italie. Tout le jeu, nous montre Gambetta consiste à envoyer un signal plus ou moins couteux de sorte que les intervenants des milieux interlopes puissent savoir avec certitude qu’ils peuvent avoir confiance en vous. Ainsi, le Yakusa qui se tatoue le corps entier ou qui se coupe le bout de l’auriculaire envoie-t-il un signal difficile à copier par un outsider et qui dit à ses collègues mais également aux innocents qu’il a payé le prix qu’il faut et que ni la douleur, ni l’affichage de son appartenance à un clan ne lui font peur.
Envoyer un signal n’est bien évidemment pas l’apanage des mafieux. C’est ce que font de manière routinière les hommes politiques, les chef d’entreprise et même les gens qui s’habillent pour sortir (pas de burka en boite de nuit, pas de minijupe microjupe à l’église!).
Il me semble que c’est à l’aide de la théorie du signal qu’il convient de lire cette interview de M. Harouna Sy, Commissaire Central de Dakar. En général, au Sénégal, les flics ne parlent pas. Sauf pour dire que le Président de la République est un génie, qu’ils ont réceptionné de nouvelles voitures ou qu’ils ont incinéré tant de tonnes de drogue. Tout le monde sait que le GMI est un corps n’ayant d’autre objectif dans la vie que de casser du manifestant. On les distingue du flic « normal » qui fait son boulot d’aide à la population et on ne lui en veut même pas. C’est un mal nécessaire dans un État bien organisé. Quiconque manifeste le fait à ses risques et périls. Les GMI le tabasseront et et enverront des gaz lacrymogène s’ils en reçoivent l’ordre. De manière symétrique, tout manifestant qui en a l’occasion peut et doit jeter des pierres sur le GMI qu’il a en face de lui. C’est ça le statu quo depuis toujours. Et il est arrivé que des manifestants meurent sous les coups des forces de l’ordre (au moins trois étudiants lors de diverses grèves dont un quand j’étais à l’UCAD) ou que des flics meurent sous les coups des manifestants (vers la fin du règne de Diouf si je ne m’abuse).
En théorie des jeux, les statu quo sont intéressants en ce sens qu’ils permettent une transparence de l’information. Mais qu’arrive-t-il quand l’une des parties a envie de changer le statu quo? Pour cela, il lui faut envoyer un signal pour informer les autres intervenants du marché que l’équilibre a changé et qu’un nouvel équilibre est souhaitable. Pour que ce signal ne paraisse pas trompeur, il faut qu’il soit couteux pour son émetteur. S’il se met en danger pour l’envoyer, cela veut dire qu’il tient vraiment à ce que le nouvel équilibre soit accepté par les autres. Il me semble que c’est exactement ce que fait le Commissaire Harouna Sy dans l’extrait d’interview que je vous mettrai à la suite. Il est en train d’envoyer aux manifestants le signal que la police aimerait désormais ne plus se cantonner à la féroce répression qui était jusque là son domaine de prédilection mais voudrait se contenter d’encadrer paisiblement les manifestations. L’on pourrait penser que ce signal n’en est pas un mais je suis sûr que si et qu’il est même couteux. Si le Président de la République n’avait était aussi affaibli, une telle interview aurait valu à son auteur une rétrogradation et une nomination dans la ville la plus pourrie du Sénégal. Et il n’est pas évident du tout que dans un soubresaut de fierté, les crétins qui nous dirigent n’essayeront pas de nuire au Commissaire Sy. Quoi qu’il en soit, s’il a osé donner cette interview, je pense que c’est parce qu’il transmet une « offre de paix » avec laquelle une majorité des officiers supérieurs de la Police Sénégalaise sont d’accord. Il sera intéressant de voir si d’autres institutions sénégalaises vont envoyer des signaux à la population. Il me semble que l’armée avait ouvert le bal par la voix du Général (à la retraite) Mansour Seck.
Maintenant la partie de l’interview que je lis en termes de théorie du signal:
Le Sénégal a été secoué par des émeutes les 23 et 27 juin 2011. Comment la police les a gérées ?
Je voudrais avant tout lancer un appel aux organisateurs des manifestations, pour qu’à l’avenir, lorsqu’ils déroulent une manifestation de surcroît autorisée, qu’ils sachent d’abord que la police est là pour assurer leur protection, assurer la bonne tenue de leur manifestation. Je n’ai pas compris le comportement des manifestants le 23 juin devant l’Assemblée nationale. Ils ont fait preuve d’une violence inouïe contre les forces de l’ordre qui n’étaient là que pour que tout se passe bien. Les forces de l’ordre sont des gens armés, mais également des citoyens comme tout le monde, qui ont des droits et des devoirs. Je connais de grosse démocratie où les gens allaient utiliser leurs armes dans pareils cas. Toutes les conditions étaient réunies pour le faire, les armes à feu, nous les avions, mais nous ne les avons pas utilisées.
On a vu que les policiers étaient dépassés…
Nous avons bien préparé nos hommes dans l’optique d’une gestion intelligente de la manifestation. Ils ont été rassemblés la veille à partir de 4 heures du matin pour une séance de briefing très profond. Ils ont suivi à la lettre les consignes. Au finish, ils ont été héroïques, pour contenir l’ire des manifestants. Il y avait des milliers de personnes contre une centaine de policiers. Nous nous sommes sacrifiés, voilà le mot, et nous avons sauvé beaucoup de choses, au point qu’à un moment donné, nous étions au point de rupture, mais nous avons tenu bon. C’est le lieu pour moi de féliciter et rendre un vibrant hommage aussi bien à mes chefs qu’aux commandants qui étaient avec moi, avec une mention spéciale à l’endroit des éléments, les gardiens de la paix qui ont fait preuve d’une bravoure extraordinaire. Je sais qu’ils en ont payé de leur personne, parce qu’on n’a eu plusieurs blessés, 23 au total, malgré nos protections, dont le commandant du Gmi et moi-même.
[…] à prendre. La seule manière de devenir parrain, c’est de tuer et de menacer. On envoie un signal très clair. C’est ce que ce médiocre Bourgi qui a été à bonne école et qui a vu comment Bongo […]
[…] culpa, j’ai été naïf et limite idiot (en juillet dernier) d’interpréter de manière optimiste une interview du commissaire Harouna Sy. C’est lui qui est en train de mener la répression et de mentir sans vergogne pour la […]