Hady Ba's weblog

Ruine ou espoir?

Posted in Afrique, Sénégal by hadyba on août 15, 2012

Il se trouve que je suis actuellement en train de vadrouiller au Sénégal avec une française dont c’est la première visite. Et c’est très intéressant de voir le point de vue. Je remarque désormais des choses qui m’étaient trop familières pour que je les voie. Par exemple, quand vous marchez dans un quartier normal du Sénégal, quel qu’il soit, vous voyez des bâtiments à différents stades d’achèvement. C’est le cas par exemple des deux immeubles ci dessous:

A part dans les Sicap, il est très rare de se promener dans un quartier à l’architecture homogène et dont les maisons sont des copies conformes l’une de l’autre. Il y a souvent des maisons mitoyennes dont l’une peut faire cinq étages alors que sa voisine immédiate à gauche n’en fait qu’un et sa voisine de droite n’a pas d’étages du tout. Il y a également parfois ce que nous appelons des « terrains vagues » entre les maisons i.e. des terrains à usage d’habitation mais sur lesquels rien n’est encore édifié. Sur de tels terrains il peut y avoir, au choix, des mauvaises herbes, une famille pauvre qui s’installe en édifiant illégalement une hutte ou juste du sable ce qui en fait un terrain de foot improvisé pour les gamins du quartier.

Ce que je viens de décrire m’est tellement habituel que je n’y pense pour ainsi dire jamais. Quand je suis à quelque part au Sénégal, ça ne me paraît ni remarquable, ni intéressant. Une autre chose que je ne remarque pas non plus est qu’il y a dans les quartiers déjà résidentiels des maisons à différents degrés d’achèvement. À coté d’une maison achevée et habitée, on voit parfois s’activer des maçons édifiant une villa. On voit souvent aussi des terrains sur lesquels s’élèvent des embryons de maison. Apparaît ainsi à 20 cm de hauteur ce que chacun au Sénégal sait être des fondations i.e. les premières briques faites de ciment, sable et gravier et qui tracent les futures pièces de la maison. S’élèvent également dans les quartiers résidentiels des constructions qui s’arrêtent brusquement plus ou moins haut. Vous pouvez ainsi avoir les fondations, quelques murs qui font entre 50cm et 3m puis plus rien ou alors une maisons qui semble totalement achevée mais sans peinture, ni fenêtre et encore moins circuit hydraulique et électrique.

Donc nous vadrouillons au Sénégal et un jour mon amie excédée (plutôt intriguée je suppose) me demande en désignant une de ces maisons inachevées : « Mais qui est-ce qui s’amuse à commencer à construire une maison avant de brusquement s’arrêter ? » Interloqué par une telle question, je lui expliquais ce qui me paraissait évident mais ne l’est probablement que pour un sénégalais. Supposons que vous soyez un sénégalais lambda. Vous gagnez un peu d’argent mais pas trop. Vous n’avez donc aucun espoir qu’une quelconque banque vous prête suffisamment d’argent pour construire d’un seul allant votre demeure. Vous n’y pensez même pas, votre travail étant trop incertain pour que vous envisagiez de vous engager à verser des mensualités fixes. Une telle situation ne vous empêche certainement pas d’être ambitieux et de vouloir un jour être propriétaire de votre propre maison et échapper à ces suceurs de sang que sont les logeurs*. Quel choix vous reste-t-il ? Ce qui est clair c’est qu’à moins de gagner au Loto, vous ne réunirez jamais les 20 millions de FCFA qu’il faut pour construire une maison. Ce que vous pouvez faire en revanche, c’est économiser suffisamment pour acheter un terrain quelque part… n’importe où. Au bout de quelques années, avec un peu de chance et au prix de beaucoup de sacrifices, vous acquerrez votre précieux terrain. Première étape franchie avec succès donc. Reste le plus dur. Construire. Vous cherchez un architecte et lui demandez combien ça vous couterait de vous faire faire un plan**. Et vous recommencez à économiser pour le plan. Une fois le plan tracé, vous prenez langue avec un entrepreneur qui vous dit combien coûtera chaque étape de la construction. Après un deux ou trois ans d’économies, vous avez réuni une somme suffisante pour les fondations. Vous contactez votre entrepreneur qui vous les construit. C’est l’une des choses les plus difficiles parce qu’il faut sortir en une seule fois beaucoup d’argent. Une fois cette étape franchie, le reste avance tout seul. Votre maçon devient votre meilleur ami pour les années qui viennent : à chaque fois que vous avez un peu d’argent, vous l’appelez et lui demandez de poursuivre l’édification de votre maison bien aimée. Après lui, ce sera l’électricien, le plombier, le carreleur etc… Selon votre situation socioéconomique, ça vous prendra plus ou moins longtemps pour devenir propriétaire et pouvoir à votre tour crier à tout bout de champs « Fii maa fiy dogal ! »

Donc, j’ai expliqué ce qui précède à mon amie. Quelque jours plus tard, nous promenant à Niodior, elle m’interpella en désignant le bâtiment suivant :

 

Elle me posa alors la question suivante : « Dis-moi, tu vois une ruine ou une construction ? Parce que moi tout ce que je vois, c’est une affreuse ruine ! » Cette question me semble-t-il résume tous les malentendus qui naissent de la différence de point de vue entre quelqu’un qui voit un pays africain en y ayant longtemps vécu et un étranger. Objectivement, le bâtiment désigné n’est ni une ruine ni un bâtiment en construction. Quand mon amie le regarde, elle a raison de voir quelque chose d’inhabitable et de moche. Connaissant tout ce que je sais sur la construction au Sénégal, quand je contemple ce bâtiment, je vois une success story en train de se conclure. Le ou la propriétaire de cette maison a clairement fait le plus dur : il/elle a non seulement édifié les fondations mais également tous les chainages et même le toit de sa maison. Tout ce qu’il lui reste, ce sont des finitions. Je peux parfaitement imaginer des années d’économie, de labeur et de négociation pour arriver à cet état d’achèvement et j’ai bon espoir qu’en moins d’une ou deux années il emménagera fièrement dans sa nouvelle maison avec sa famille. Peut-être est-il à l’orée de la retraite ou alors est-ce un jeune ambitieux qui a très tôt économisé quand ses amis faisaient des dépenses somptuaires. C’est le point de vue qui fait tout.

Plus généralement, il me semble que souvent quand les non africains voient l’Afrique, ils sont face à un bâtiment inachevé comme celui-ci. Là où ils ne voient que de la misère, je vois de l’espoir, de l’énergie, de la lutte et de la construction. Peut être suis-je trop optimiste ; la vision misérabiliste et compassionnelle de l’Afrique me parait cependant en occulter la réalité objective.

PS : Si j’ai le temps, je mettrai plus d’illustrations dans ce post.

…….

*On aura donc deviné que je ne suis pas propriétaire

**Je crois que c’est légalement obligatoire