Expérimenter par soi-même
L’autre jour, en réunion, je me suis embarrassé tout seul. Quelqu’un a dit quelque chose et je me suis senti obligé de donner des précisions clarifiant ma situation. Avant même que je ne lève la main pour parler, mon chef de Département m’a demandé de me taire. Je lui ai fait un signe disant que j’étais vraiment désolé de lui désobéir mais que je ne pouvais pas ne pas parler. Il a insisté, j’ai insisté. Il s’est même levé pour me dire qu’il m’expliquerait plus tard mais j’ai quand même pris la parole. Sur le moment, je ne pouvais pas croire qu’il avait raison que ce que je croyais comprendre n’était pas ce qu’il fallait comprendre. En prenant la parole, je me suis embarrassé et ai embarrassé tout le monde parce que, bien évidemment, je me trompais totalement.
Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment je n’avais de doute sur la bienveillance de mon chef de Département. Je savais qu’il avait à coeur de veiller sur mes intérêts. Il m’a, à plusieurs reprises, donné des conseils et indications qui m’ont empêché de faire des erreurs. Je sais également qu’il a infiniment plus d’expérience que moi dans ce type de réunions. Rationnellement, j’aurais du lui faire confiance et me taire. Malgré tout, sur le moment, j’étais persuadé d’avoir raison. Après la réunion, il m’a tout expliqué puis il a sagement ajouté: « Mais si tu n’avais pas parlé, tu n’aurais jamais vraiment cru que l’on ne faisait effectivement pas allusion à toi! » En gros, c’était là une erreur de ma part, erreur rationnellement évitable, mais en même temps presque inévitable vu que nous ne sommes pas des machines purement rationnelles. Il y a des expériences douloureuses dont on ne peut pas vraiment se dispenser. Ce faisant, on fait des erreurs qui peuvent paraître stupides mais qui nous permettent d’apprendre et de grandir. Tant que l’on n’a pas soi-même fait ces erreurs là, on ne peut pas réellement retenir la leçon.
D’une certaine manière, j’ai l’impression que tout processus d’éducation n’est, fondamentalement, que cela: donner aux élèves les moyens de commettre des erreurs dans un environnement contrôlé de sorte à apprendre de nouvelles choses et à ne pas commettre ces mêmes erreurs dans un milieu où leurs conséquences seraient pires voire mortelles. Les plus intelligents d’entre nous sont ceux qui ont la sagesse et la modestie d’apprendre des erreurs des autres. Ces êtres supérieurs n’ont pas besoin d’expérimenter par eux-mêmes. J’essaie de profiter de l’expérience des autres mais je n’en suis souvent pas capable parce que je suis arrogant et pense que mon analyse d’une situation donnée vaut celle de n’importe qui d’autre; oubliant parfois que certains ont plus d’expérience et de vécu que moi.
Puisqu’avec moi, il faut que tout devienne politique, ça m’a fait penser à notre vie politique actuelle. Macky Sall cherche désespérément le moyen de se délier de sa promesse de réduire son mandat. Une des choses qui avaient été les plus désastreuses pour Wade, bien plus que sa corruption, est son fameux : « Maa waxoon, waxeet » (« C’est moi qui l’avais dit, je me dédis donc! » à propos de sa promesse antérieure de ne jamais briguer un troisième mandat) Cette formule avait fait l’effet d’une bombe et fait éclater à la face de tous que Wade était vieillard cynique et sans honneur qu’il serait déshonorant de garder comme dirigeant. En voyant le Professeur Ismaila Madior Fall essayer de trouver une porte de sortie au Président Sall, ma première réaction était: « Mais les politiciens ne peuvent-ils donc jamais apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs? » Peut-être ma bourde répond-t-elle à cette question: Macky Sall serait aussi peu intelligent que moi. Dans mon cas, ce n’est pas bien grave, je n’ai pas encore de responsabilités, je suis en train d’apprendre et ai de très bon mentors. Dans le cas d’un homme dont les décisions engagent la Nation en revanche…
PS: Je suis d’une impolitesse… Mes meilleurs voeux pour l’année 2016 à la poignée de fidèles qui lisent encore ce blog. Puisse-t-elle nous être agréable, puissent nos chemins respectifs éviter bombes et kalashs (vu le monde dans lequel nous vivons, ce n’est malheureusement plus un voeux extravagant!) et puissé-je bloguer un peu plus cette année. Vu que j’ai fermé tous mes comptes sur les réseaux sociaux pour six mois et que je suis un procrastinateur, je suppose que je vais devoir bloguer pour ne pas faire les choses obligatoires à temps 🙂
Merci pour cette leçon de pédagogie et Bonne Année !
Bonne année à vous également!
Je ne crois pas en l’existence d’êtres supérieurs, d’aucune sorte. Et je suis convaincue que celui qui n’expérimente pas l’échec dans sa chair est définitivement diminué.
Bien sûr que tu peux apprendre de l’expérience des autres, mais ce n’est rien par rapport à ce que t’apportent tes propres plantages, le fait qu’il induisent de fortes réponses physiologiques que tu dois affronter et apprendre à maîtriser et surmonter.
Oui, Agnès, c’est un peu la thèse des marqueurs somatiques de Damasio selon qui la rationalité parfaite est une illusion parce que justement les réponses émotionnelles laissent une marque physiologique telle que nous les intégrons inconsciemment quand nous prenons des décisions. Il est difficile d’apprendre des erreurs des autres justement parce que leurs erreurs n’ont pas la même « saveur » que les nôtres.
Sur : « Et je suis convaincue que celui qui n’expérimente pas l’échec dans sa chair est définitivement diminué. » Mais tellement! Parfois, je vois des gens que j’aime bien et a qui tout semble toujours réussir et je suis toujours un peu triste pour eux. A contrario, il m’est arrivé de dire à des gens qui traversaient des moments difficiles que non seulement j’était persuadé qu’ils s’en sortiraient mais qu’en plus ça les rendrait meilleur. (C’est arrivé l’année dernière avec un de mes étudiants qui vivait une période éprouvante dont il est heureusement sorti à présent.)
PS: Ravi de te voir ici 🙂
J’ai toujours été ici… 😉
Et je vois dans mon parcours que ceux qui n’ont jamais dû affronter régulièrement d’adversité se retrouvent extrêmement démunis à la première embûche venue.
[…] y a un mois, j’écrivais ici même […]