Sur Macron et la colonisation
(crédits photos Galicca via Ousmane A. Diallo sur twitter)
C’est Toni Morison qui affirmait que la fonction du racisme est de nous distraire et de nous empêcher de faire ce qui nous importe réellement. Il me semble que si ce n’est là l’une des fonctions, c’est au moins un des effets des débats franco-français sur l’Afrique en général et la colonisation, l’esclavage ou l’immigration en particulier. Prenez la question de la colonisation. À la question : « La colonisation est-elle un crime contre l’humanité ? » ma réponse rapide serait : « Oui, bien entendu. Question suivante? ». Avec les bêtises de Macron, on se retrouve à chercher des arguments pour ce qui nous paraît une position parfaitement naturelle et indiscutable.
Macron a, en quelque sorte, piégé tout le monde. Si l’on se souvient bien, c’est lui qui avait sorti une phrase sur les bienfaits de la colonisation ou autre billevesée de la même eau. Cela lui avait valu les foudres d’une partie de la gauche. J’avais compris son propos réaffirmant que la colonisation est un crime contre l’humanité comme une manière, ratée, de rattraper le coup. Fondamentalement, je crois que Macron est un bullshitter indifférent au vrai. Ce qu’il dit n’a aucune espèce d’importance parce qu’il dirait le contraire le lendemain s’il le fallait. Par ailleurs, Macron, étant un politique français, parle de la colonisation en référence à l’Algérie. Le problème est que l’Algérie était une colonie très particulière qui pose des problèmes particuliers du fait que du drame franco-français qu’a été le retour de personnes que la France destinait à peupler l’Algérie mais non à revenir en métropole. Ce n’est donc jamais une bonne idée de parler de colonisation en général quand on parle de la relation franco-algérienne. Souvent, quand des français parlent de la colonisation, ils parlent aux français en ayant en tête le sort que de Gaule et consort ont fait aux harkis et pieds noirs. C’est là un drame français. La colonisation française, c’est un empire qui s’étendait de l’Indochine à Dakar.
Maintenant, revenons à la question de savoir si la colonisation est un crime contre l’humanité Prenons l’exemple du Sénégal pour sortir du tête à tête franco-algérien. Certains d’entre nous, les ressortissants des Quatre Communes étaient considérés comme des français de plein droit. Donc techniquement, si repentance il doit y avoir, je suppose que nous devons aussi nous repentir. Et d’ailleurs je crois que nous devrions au moins nous poser des questions sur le rôle des tirailleurs sur la répression des mouvements d’indépendance de l’Algérie à Madagascar en passant par l’Indochine. Pourquoi je dis que la colonisation est un crime contre l’humanité? Tout simplement parce que l’ONU par exemple désigne ainsi toute violation délibérée, organisée et systématique des droits fondamentaux d’un groupe humain en vertu de son appartenance à ce groupe. La colonisation a été exactement celà une violation systématique et continue des droits des indigènes sénégalais externes aux quatre communes par exemple. Ils étaient des sujets français pas des citoyens, ni même des citoyens de seconde zone. On peut faire un catalogue des horreurs de la colonisation. Du travail forcé à l’éducation différenciée en passant par la hiérarchisation des droits et l’arbitraire constant. En face, des calculateurs feront un catalogues des supposés bienfaits de cette même aventure coloniale ; depuis les dispensaires, jusqu’au routes (en oubliant pudiquement que ces routes ont été construites gratuitement, sous le fouet et dans le sang par les populations locales) et au développement de l’agriculture non vivrière. Mais en fait ces bienfaits sont incidents à l’entreprise coloniale. Par exemple, on développe la médecine coloniale parce qu’on a besoin de travailleurs sains pour servir la Métropole. On développe l’économie selon les besoins de cette même métropole. Il n’en demeure pas moins, que dans son principe même, tout comme dans son exécution continue, la colonisation a été un déni de droits fondamentaux des populations indigènes. Il me semble qu’il y a une différence entre le fait colonial et les USA par exemple. L’extermination des indiens est un crime contre l’humanité. L’esclavage atlantique est également un crime contre l’humanité qui a le même caractère constant et durable que la colonisation. En revanche, il est abusif de dire que l’aventure américaine elle même est un crime contre l’humanité pour la raison suivante. Dans son principe même, l’aventure américaine ne s’appuie pas sur un déni systématique des droits fondamentaux d’une partie de sa population.
Une inquiétude des européens est que reconnaître que la colonisation est un crime contre l’humanité et s’en repentir reviendrait à tenir les fils coupables des péchés des pères. C’est là me semble-t-il une réelle inquiétude et une inquiétude légitime. Les fils sont-ils coupables des péchés de leurs pères? Non. Clairement non. Maintenant les fils sont-ils complices des péchés de leurs pères? Seulement s’ils en font l’apologie ou non seulement refusent de les reconnaitre mais contribuent de plus, activement, à falsifier l’histoire pour en édulcorer la face peu glorieuse. Question plus difficile: les fils doivent-ils réparer les fautes des pères? Je n’ai honnêtement pas de bonne réponse. A priori je répondrai non. Mas je comprends ceux qui disent que l’Europe s’étant enrichie en suçant le sang de ses subalternes a une dette non seulement morale mais également économique envers ses anciennes colonies. Il me semble que même si théoriquement on peut défendre cette position, elle est oiseuse au vu des rapports de force géopolitiques.
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« Il me semble qu’il y a une différence entre le fait colonial et les USA par exemple. L’extermination des indiens est un crime contre l’humanité. L’esclavage atlantique est également un crime contre l’humanité qui a le même caractère constant et durable que la colonisation. En revanche, il est abusif de dire que l’aventure américaine elle même est un crime contre l’humanité pour la raison suivante. Dans son principe même, l’aventure américaine ne s’appuie pas sur un déni systématique des droits fondamentaux d’une partie de sa population. »
A mes yeux la différence tient surtout au fait que les USA sont une entreprise coloniale qui a réussi (notamment parce que les colons ont fini par être beaucoup plus nombreux que les colonisés si bien qu’une décolonisation n’aurait plus aucun sens) et justement parce qu’elle a réussi elle est devenue autre chose qu’une entreprise coloniale.
[…] le caractère de crime contre l’humanité de la colonisation française de l’Algérie, Hady Ba avait publié sur son blog un article au cours duquel il opposait l’entreprise coloniale française et l’aventure américaine […]
Au propos de l’héritage, je me permet de reprendre un peu le flambeau de votre » Donc techniquement, si repentance il doit y avoir, je suppose que nous devons aussi nous repentir ». Cette dichotomie s’applique aussi bien au sein de l’hexagone, pour les gens comme moi : un grand-père légionnaire, une grand-mère indochinoise et me voilà l’héritier de la politique coloniale tout en étant fils d’une métis des colonies. La colonisation fait que ce type de généalogie est relativement banal, aussi je tiens mon cas personnel non pas comme étant une anecdote mais comme étant une illustration.
Le quart de mon sang issu de mon grand-père me rends t-il donc coupable auprès du quart de mon sang issu de ma grand-mère ? Même réponse que vous : non.
Maintenant, la question de la complicité. Je vais la nuancer, tout en l’alourdissant : la complicité implique une compréhension et donc d’abord une connaissance. A ce propos, nous sommes (et quand je dis « nous » je parle bien des français plus ou moins de souche qui ont les pieds dans l’hexagone) exécrables. Le roman national aime choisir ses ellipses narratives et nous avons tendance à ignorer, à ne pas même connaître les passages les plus culpabilisants de cette partie de notre histoire. Je plaide donc non coupable, car comment prendre une position morale condamnable sur des faits inconnus ?
Cependant, les grandes lignes sont connues de tout le monde, mais nous avons tendance à ignorer, à ne pas même vouloir connaître les passages les plus culpabilisants de cette partie de notre histoire. Je plaide donc coupable, car je vois bien quand je discute autour de moi que beaucoup ne veulent même pas savoir : nous sommes si fiers de notre réputation de défenseurs des droits de l’homme, si fiers de nous réclamer de Voltaire que nous avons tendance à entretenir avec soin le déni. Nous n’avons donc pas commis de massacres, nous ne bombardons pas au moyen-orient… même quand un scandale tel que celui d’Areva fait surface, c’est uniquement « le grand capital » qui est responsable d’exploiter de pauvres indigènes sans défense, et ça n’a rien à voir avec la continuité d’une pensée colonialiste. Nous minimisons la politique militaire, nous relativisons les politiques économiques, nous nous dédouanons de la politique coloniale.
Je ne considère donc pas que nous héritons de la faute, mais nous héritons tout de même des faits. Face auxquels nous faisons preuve d’une complaisance qui, oui, confine à la complicité.
Quant à réparer les fautes des pères, moi je dirais que oui. Mais les rares fois où j’en ai parlé autour de moi, l’idée est très mal passée. Mais c’est une question qui est forcément abordée après la désacralisation de l’image humaniste de la France, et mettre une amende après ce qui est vécu comme un procès en diffamation, ça fait beaucoup pour une soirée.
D’autre part, je dis oui aujourd’hui, en théorie. Si demain je voyais ça dans un programme politique, je serais certes défenseur du principe, mais sans doute hésitant à voter : il est certes désagréable d’être vu et de se voir héritier de privilèges mal acquis, mais c’est si confortable de les avoir…