Hady Ba's weblog

Bentolila et les petits africains

Posted in Science by hadyba on mars 26, 2012

Le linguiste Alain Bentolila affirme sur France 2 qu’un enfant ne peut apprendre à lire que les mots qu’il connait déjà. Au delà de 20% des mots inconnus dans les textes utilisés, l’enfant ne peut apprendre à lire.

Cette affirmation me parait d’autant plus bizarre que Bentolila semble être un linguiste sérieux ayant bossé sur les créoles. Son affirmation est tout simplement fausse et j’ai deux faits ultra-connus qui prouvent cette fausseté:

  1. Dans les pays musulmans non arabophones, les enfants commencent par apprendre à lire l’arabe (qu’ils ne comprennent absolument pas), apprennent le texte du Coran par coeur avant d’apprendre la signification de ce qu’ils connaissent par coeur. Après coup, ces gens peuvent utiliser la graphie arabe pour écrire de l’Ajami en plus de l’arabe mais au moment de l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, ils ne comprenaient pas du tout ce qu’ils ânonnaient.
  2. Actuellement, dans les pays africains francophone comme le Sénégal, la plupart des enfants arrivent à l’école sans parler français du tout. On leur apprend à lire et à écrire. J’ai (presque) appris comme ça. Je mets presque parce que mes parents étant instits’ j’avais de vagues notions de français. Certains de mes amis avaient des parents totalement illettrés (pour l’alphabet latin) et parlant zéro mot de français; ils ont pourtant fini avec des diplômes universitaires et des boulots intellectuels.

Ces faits ne me semblent ni controversés, ni ignorés de quiconque s’intéresse un tant soit peu à l’enseignement de l’écriture. Comment M. Bentolila peut-il les ignorer? Et surtout, d’où tire-t-il ses 20% qui donnent une allure scientifique au propos?

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Pauli effect?

Posted in Science by hadyba on septembre 25, 2011

Tom Roud a un excellent article sur le neutrinogate. Il me semble qu’il a bien raison de nous demander de ne pas nous laisser prendre par le sensationnalisme journalistique. Pour l’instant, c’est une seule expérience concernant une particule élémentaire de toute manière extrêmement difficile à détecter. Et en plus, même si le résultat était avéré, il n’aurait sans doute pour conséquence qu’une extension de la théorie de Einstein. OK, ce serait quand même révolutionnaire!

 Tant qu’à lire Tom Roud sur la physique, je vous conseille ce post où il parle des travaux de l’équipe de Couder à Paris VII qui semble avoir confirmé la théorie de l’onde pilote de de Broglie et Bohm. Ça, c’est vraiment révolutionnaire, et c’est passé totalement inaperçu! Avec mon flair habituel, de toutes les explications possibles des phénomènes quantiques, la théorie de l’onde pilote m’a toujours paru la plus improbable. Elle me semblait être une construction ad hoc destinée à sauver la métaphysique préférée de ses auteurs.

PS: Dernière chose: il ne faut jamais oublier que le neutrino est du à ce sale gosse de Wolfgang Pauli. Les anomalies observées ne sont sans doute rien d’autre que la persistance d’un effet Pauli 🙂

Oh Satoshi

Posted in Recherche, Science by hadyba on septembre 17, 2011

Sur Slate:

Satoshi Kanazawa et ses collègues de la London School of Economics (LSE) ont mis à jour des différences significatives dans les préférences de timing du sommeil entre les individus en fonction de leur QI. Selon Kanazawa, les humains ancestraux étaient diurnes, et l’évolution vers des activités plus nocturnes est une «nouvelle préférence de l’évolution» qui se retrouve chez les individus plus intelligents et dénote un «niveau de complexité cognitive plus élevé».

Sachant que Satoshi Kanazawa est le même clown qui avait « expliqué » pourquoi les femmes noires étaient plus moches que celles des autres races et les hommes noirs plus beaux* embarrassant ainsi son prétendu domaine d’étude et son université, je pense que vous pouvez parfaitement aller vous coucher à 17h tous les soirs sans craindre pour votre QI.

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* A tout hasard, je vous signale que je suis un mâle noir qui se couche rarement avant 1h du mat’

Ultracrépidariens

Posted in France, Religion, Science by hadyba on septembre 10, 2011

Sutor, ne ultra crepidam…

Appelle

Je ne comprend pas pourquoi il y a tout ce débat sur la théorie du genre. Il ne faut surtout pas débattre avec ces fous de la Droite Populaire, il faut juste leur signaler qu’en tant que députés, ils peuvent décider ou non d’enseigner la biologie au lycée mais une fois cette décision prise, c’est aux biologistes de déterminer le contenu des cours de biologie et des idiots même élus par le peuple n’ont pas voix au chapitre!

C’est en même temps fascinant et effrayant de voir la Droite française se transformer en copie du parti Républicain US dans ce qu’il a de pire. Un second mandat Sarkozy risque d’être joyeux avec le démantèlement de l’éducation nationale et des services sociaux qui se profile à l’horizon. Les français auront enfin le droit de choisir librement entre vendre leur maison et mourir d’un cancer. Et tous ces pauvres qui vont à l’école, comme si ça leur servait à quoi que ce soit….

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Sur l’hypothèse Sapir Whorf

Posted in Philosophie, Science by hadyba on septembre 7, 2011

Comme promis

Stricto sensu, l’hypothèse Sapir-Whorf n’est pas une hypothèse mais une thèse. C’est Hoijer, un étudiant de Sapir qui ainsi baptisé la thèse partagée par Sapir et Whorf. Une vision répandue voudrait que ce ne soit là qu’un crackpot promu par cet amateur de Whorf et avec lequel son maître Sapir ne serait pas totalement d’accord. Je crois cependant que cette manière de voir est fausse. Sapir a certes des moments où il souligne que le déterminisme linguistique est peut-être naïf mais nous verrons qu’il était bien un partisan de cette thèse. Étant donné que Whorf a toute sa vie travaillé dans les assurances alors que Sapir était un respectable prof de linguistique d’anthropologie à Yale, il est tentant de les opposer et d’attribuer les idées farfelues au premier. Mais c’est doublement injuste. D’abord parce qu’il suffit de lire Sapir pour voir qu’il partageait bien les thèses de Whorf. Ensuite parce que même si Whorf n’a jamais accepté de poste académique, ce n’était pas un lunatique mais bien un distingué linguiste qui, quoiqu’on puisse penser de sa thèse favorite, a fait des contributions très valables au domaine.

Pour le moment, nous pouvons définir l’hypothèse Sapir Whorf comme la thèse selon laquelle les langues que nous parlons déterminent notre appréhension du monde à un point tel que des locuteurs de langues différentes pourraient ne pas du tout percevoir une même réalité de manière congruente et pourraient être dans l’impossibilité de se mettre d’accord sur la bonne manière de conceptualiser le même fait objectif. Des locuteurs de deux langues radicalement différentes auraient des conceptualisations conflictuelles et incommensurables d’une même réalité.

Depuis Chomsky, il est accepté que le langage est une faculté biologique commune à tous les humains. Au niveau de la pensée, il est censé y avoir un soubassement unique et universel qui permettrait d’expliquer l’apparente diversité des langues humaines. C’est cette vision biologique, universaliste qui explique que l’hypothèse Sapir Whorf (HSW) soit tombée en désuétude et ait été, non pas réfutée, mais ridiculisée par Pullum (1991) et Pinker (1994)*. Sapir et Whorf avaient une vision diamétralement opposée du langage. D’une part, Sapir au moins soutenait que le langage est un système symbolique indépendant de la biologie. D’autre part, ils pensaient tous les deux que ce système symbolique rétroagit sur la biologie en déterminant non seulement notre pensée mais également notre perception directe du monde.

On peut considérer que HSW se décompose en trois thèses :

Le structuralisme : Le modèle ici est celui d’une formalisation mathématique. Il n’y a pas grand sens à considérer des théorèmes indépendants du formalisme dont ils sont dérivés. Selon les axiomes dont nous partons et les règles de dérivation que nous acceptons, nous aboutissons à des théorèmes nécessairement vrais mais qui ne le sont qu’en vertu de notre acceptation de l’axiomatique en question. C’est donc la structure toute entière qui est importante pas seulement ses développements locaux. De la même manière, nous dit Sapir, le langage est « une organisation symbolique créative et autosuffisante » comparable aux mathématiques en ceci qu’au fil du temps elle s’élabore en « un système conceptuel autosuffisant qui préfigure toutes les expériences possibles compatibles avec certaines limitations formelles acceptées. » Notons donc que le langage ne préfigure QUE les expériences possibles compatibles avec lui et non toutes les expériences possibles. Whorf avait également cette même vision structuraliste du langage. Cela transparait par exemple quand il écrit que « Les phénomènes linguistiques sont des phénomènes d’arrière plan dont les locuteurs ne sont pas conscients (…) Ces structures automatiques et involontaires du langage ne sont pas communes à tous les hommes mais sont spécifiques à chaque langue et constituent le coté formalisé de la langue ou sa « grammaire » -un terme qui inclut bien plus que la grammaire que nous avons apprise dans les manuels (…) »

Le déterminisme : Le système symbolique formel qu’est le langage détermine strictement nos pensées possibles voire même notre perception. Pour Sapir, tout comme pour Whorf, il nous est impossible d’entretenir des catégories conceptuelles qui ne seraient pas contenues dans les possibilités permises par notre langue. En ce qui concerne la perception, les paires minimales montrent bien comment la langue rétroagit sur l’audition. Par exemple le locuteur du français fera parfaitement la différence entre les sons /v/ et /b/ et ne remarquera même pas la similitude entre les mots brille et vrille. Un locuteur monolingue de l’espagnol en revanche aura du mal à percevoir la différence entre ces deux mots parce que dans sa langue, /v/ et /b/ ne constituent pas une paire minimale** i.e. qu’il n’y a aucun mot dont la seule différence est le remplacement de l’un de ces sons par l’autre. C’est le même déterminisme qui est à l’oeuvre sur le plan conceptuel. Nous avons vu que pour Sapir, le système linguistique préfigure toutes les expériences possibles étant données les limitations formelles de la langue. La pensée n’est alors rien d’autre, selon lui qu’une interprétation et un raffinement de nos catégories linguistiques. De ce fait, ces catégories déterminent strictement les catégories conceptuelles que nous pourrions entretenir de la même manière que le symbolisme mathématique dont nous disposons détermine strictement les vérités mathématiques que nous pouvons concevoir. Le langage, dans cette manière de voir est une technique qui nous permet de penser, sans laquelle nous serions limité dans nos raisonnements et dont la structure est reflétée dans notre pensée. De plus affirme Sapir, elle « définit en fait l’expérience pour nous en raison de sa complétude formelle et à cause de notre projection inconsciente de ses attentes implicites dans le champs de l’expérience. »

Whorf va encore plus loin dans le déterminisme quand il écrit que : « Nous disséquons la nature le long des lignes tracées par notre langue maternelle. Les catégories et les genres que nous isolons du monde des phénomènes, nous ne les trouvons pas parce qu’elles crèvent les yeux à tout observateur ; bien au contraire, le monde se présente selon un flux kaléidoscopique d’impressions qui doivent être organisées par notre esprit -et cela signifie largement par le système linguistique de notre esprit. Nous découpons la nature, l’organisons en concepts et attribuons des significations ainsi que nous le faisons, (…) parce que nous sommes partie prenante dans une convention destinée à l’organiser de cette façon. (…) La convention est, bien évidemment, implicite et tacite mais ses termes sont absolument obligatoires ; nous ne pouvons parler du tout sauf en souscrivant à l’organisation et à la classification des données que la convention décrète. » Pour bien enfoncer le clou, Whorf ajoute que : « nul individu n’est libre de décrire la nature avec une impartialité absolue mais est contraint à certains modes d’interprétation même quand il se croit le plus libre. »

Dernière thèse, l’incommensurabilité des systèmes linguistiques : entendons-nous bien, tous les systèmes linguistiques ne sont pas censés être incommensurables. Cependant, si l’on accepte avec Sapir et Whorf que le langage est un système symbolique complet mais arbitraire et si l’on admet que ce système détermine nos pensées et notre perception ; il est alors presque fatal de conclure qu’en cas de variation massive entre deux systèmes linguistiques, les locuteurs de ces deux langues se retrouveront à conceptualiser la réalité de manière incompatible et auront des difficultés à accorder leurs points de vue. Sapir et Whorf assument cette conséquence logique. Sapir écrit ainsi que : « Dans la mesure où des langues diffèrent énormément dans leur systématisation de concepts fondamentaux, elles tendent à n’être que vaguement équivalentes l’une à l’autre en tant que systèmes formels et sont, de fait, incommensurables. » Whorf, c’est bien connu partage ce point de vue. Après tout, c’est lui qui a posé le « Principe de Relativité Linguistique » selon lequel les usagers de « grammaires nettement différentes sont dirigés par leurs grammaires vers différents types d’observation et des évaluations différentes » d’une même réalité. Ils ne sont « de ce fait pas équivalents comme observateurs mais doivent aboutir à des visions du monde quelque peu différentes. »

Il me semble qu’en décomposant SWH en ces trois éléments, nous voyons clairement que l’idée selon laquelle seul Whorf défendait cette thèse est injustifiée. Chacune de ces thèses est partagée par Sapir. Whorf fera deux choses de plus que son maitre.

D’abord, il défendra que ce principe de relativité linguistique s’applique également à la science. Il a cette vision, que l’on retrouve également chez Nietzsche si mes souvenirs sont exacts, selon laquelle la science n’est rien d’autre qu’un raffinement de nos catégories de sens commun. Étant donné que ces catégories sont elles mêmes héritées du langage, la science elle-même devient largement dépendante de la langue que nous parlons. Il affirme que : « de chacune de ces visions du monde tacites et naïves, une vision du monde scientifique explicite peut émerger par une spécialisation plus élevée des mêmes catégories grammaticales de base ayant donné naissance à la vision naïve et implicite. En conséquence, la vision du monde des sciences modernes émerge par une plus grande spécialisation de la grammaire de base des langues indo-européennes occidentales.» Il va de soi que cette manière de concevoir les sciences fait hurler tous les universalistes qui tiennent à préserver la valeur objective de la science. Mais en fait, c’est moins pire que ça en a l’air 🙂 ; Whorf, diplômé du MIT, n’était pas un obscurantiste***. Il précise ainsi que : « La science, bien sûr, n’a pas été causée par cette grammaire ; elle a simplement été colorée par elle. Elle est apparue dans cette famille de langues à cause d’un enchainement d’évènements historiques qui ont stimulé le commerce, la mesure, la manufacture et l’invention technique dans une partie du monde où ces langues étaient dominantes. » Whorf a cette vision complexe selon laquelle la science aurait pu apparaître dans des parties du monde où la langue serait totalement différente. Dans un tel cas, ç’aurait été en même temps quelque chose de totalement différent en ce sens que certaines catégories qui nous paraissent indispensables disparaitraient alors que d’autres viendraient les remplacer mais en même temps, ce serait la même chose puisqu’ultimement, la physique par exemple servirait toujours à lancer des satellites. Dans un de ses papiers il entreprend d’ailleurs de montrer quelle forme pourrait avoir la phyique Newtonienne dans la langue Hopi dont il affirme que le concept de temps objectif n’y existe pas.

Ce qui nous mène à la seconde chose que fait Whorf et que Sapir ne fait pas. Pour promouvoir SWH, il montre que la langue Hopi n’a pas le concept de temps tel que nous le connaissons dans nos langues. Il affirme que « la langue Hopi ne (contient) pas de mots, de formes grammaticales, de constructions ou d’expressions qui se rapportent directement à ce que nous appelons ‘’temps’’. Il n’en est pas non plus qui soient relatifs au passé, au présent et au futur, ou à la notion de permanence ou de durée, ou au mouvement considéré sur le plan cinématique plutôt que dynamique »

Je trouve que ce post est beaucoup trop long et vais le stopper ici. Il doit être bourré de fautes, je me relirai quand j’aurai le temps.

PS : A toutes fins utiles, je vous mets mon papier de 2005 sur l’hypothèse Sapir Whorf : L’hypothèse Sapir Whorf est-elle une légende urbaine

……………..

* Qui ne font d’ailleurs que reprendre le travail de l’anthropologue Laura Martin

**C’est du moins ce dont m’assure wikipedia, je ne parle pas espagnol

*** Quoique sa communication à la Société Théosophique me fasse douter

Un Signal de la Police Sénégalaise?

Posted in Sénégal, Science, Spéculation gratuite by hadyba on juillet 12, 2011

C’est drôle comme la théorie des jeux a tendance à pointer le bout de son nez dès que les choses deviennent un peu complexes.

Une théorie intéressante dans ce champs est la théorie du signal qui dit que très souvent, il y a une asymétrie dans la détention de l’information et il faut que les intervenants du marché trouvent le moyen de communiquer ce qu’ils savent à ceux avec qui ils doivent potentiellement interagir. Diego Gambetta a par exemple appliqué la théorie du signal à son étude de la mafia dans le sud de l’Italie. Tout le jeu, nous montre Gambetta consiste à envoyer un signal plus ou moins couteux de sorte que les intervenants des milieux interlopes puissent savoir avec certitude qu’ils peuvent avoir confiance en vous. Ainsi, le Yakusa qui se tatoue le corps entier ou qui se coupe le bout de l’auriculaire envoie-t-il un signal difficile à copier par un outsider et qui dit à ses collègues mais également aux innocents qu’il a payé le prix qu’il faut et que ni la douleur, ni l’affichage de son appartenance à un clan ne lui font peur.

Envoyer un signal n’est bien évidemment pas l’apanage des mafieux. C’est ce que font de manière routinière les hommes politiques, les chef d’entreprise et même les gens qui s’habillent pour sortir (pas de burka en boite de nuit, pas de minijupe microjupe à l’église!).

Il me semble que c’est à l’aide de la théorie du signal qu’il convient de lire cette interview de M. Harouna Sy, Commissaire Central de Dakar. En général, au Sénégal, les flics ne parlent pas. Sauf pour dire que le Président de la République est un génie, qu’ils ont réceptionné de nouvelles voitures ou qu’ils ont incinéré tant de tonnes de drogue. Tout le monde sait que le GMI est un corps n’ayant d’autre objectif dans la vie que de casser du manifestant. On les distingue du flic « normal » qui fait son boulot d’aide à la population et on ne lui en veut même pas. C’est un mal nécessaire dans un État bien organisé. Quiconque manifeste le fait à ses risques et périls. Les GMI le tabasseront et et enverront des gaz lacrymogène s’ils en reçoivent l’ordre. De manière symétrique, tout manifestant qui en a l’occasion peut et doit jeter des pierres sur le GMI qu’il a en face de lui. C’est ça le statu quo depuis toujours. Et il est arrivé que des manifestants meurent sous les coups des forces de l’ordre (au moins trois étudiants lors de diverses grèves dont un quand j’étais à l’UCAD) ou que des flics meurent sous les coups des manifestants (vers la fin du règne de Diouf si je ne m’abuse).

En théorie des jeux, les statu quo sont intéressants en ce sens qu’ils permettent une transparence de l’information. Mais qu’arrive-t-il quand l’une des parties a envie de changer le statu quo? Pour cela, il lui faut envoyer un signal pour informer les autres intervenants du marché que l’équilibre a changé et qu’un nouvel équilibre est souhaitable. Pour que ce signal ne paraisse pas trompeur, il faut qu’il soit couteux pour son émetteur. S’il se met en danger pour l’envoyer, cela veut dire qu’il tient vraiment à ce que le nouvel équilibre soit accepté par les autres. Il me semble que c’est exactement ce que fait le Commissaire Harouna Sy dans l’extrait d’interview que je vous mettrai à la suite. Il est en train d’envoyer aux manifestants le signal que la police aimerait désormais ne plus se cantonner à la féroce répression qui était jusque là son domaine de prédilection mais voudrait se contenter d’encadrer paisiblement les manifestations. L’on pourrait penser que ce signal n’en est pas un mais je suis sûr que si et qu’il est même couteux. Si le Président de la République n’avait était aussi affaibli, une telle interview aurait valu à son auteur une rétrogradation et une nomination dans la ville la plus pourrie du Sénégal. Et il n’est pas évident du tout que dans un soubresaut de fierté, les crétins qui nous dirigent n’essayeront pas de nuire au Commissaire Sy. Quoi qu’il en soit, s’il a osé donner cette interview, je pense que c’est parce qu’il transmet une « offre de paix » avec laquelle une majorité des officiers supérieurs de la Police Sénégalaise sont d’accord. Il sera intéressant de voir si d’autres institutions sénégalaises vont envoyer des signaux à la population. Il me semble que l’armée avait ouvert le bal par la voix du Général (à la retraite) Mansour Seck.

Maintenant la partie de l’interview que je lis en termes de théorie du signal:

Le Sénégal a été secoué par des émeutes les 23 et 27 juin 2011. Comment la police les a gérées ?

Je voudrais avant tout lancer un appel aux organisateurs des manifestations, pour qu’à l’avenir, lorsqu’ils déroulent une manifestation de surcroît autorisée, qu’ils sachent d’abord que la police est là pour assurer leur protection, assurer la bonne tenue de leur manifestation. Je n’ai pas compris le comportement des manifestants le 23 juin devant l’Assemblée nationale. Ils ont fait preuve d’une violence inouïe contre les forces de l’ordre qui n’étaient là que pour que tout se passe bien. Les forces de l’ordre sont des gens armés, mais également des citoyens comme tout le monde, qui ont des droits et des devoirs. Je connais de grosse démocratie où les gens allaient utiliser leurs armes dans pareils cas. Toutes les conditions étaient réunies pour le faire, les armes à feu, nous les avions, mais nous ne les avons pas utilisées.

On a vu que les policiers étaient dépassés…

Nous avons bien préparé nos hommes dans l’optique d’une gestion intelligente de la manifestation. Ils ont été rassemblés la veille à partir de 4 heures du matin pour une séance de briefing très profond. Ils ont suivi à la lettre les consignes. Au finish, ils ont été héroïques, pour contenir l’ire des manifestants. Il y avait des milliers de personnes contre une centaine de policiers. Nous nous sommes sacrifiés, voilà le mot, et nous avons sauvé beaucoup de choses, au point qu’à un moment donné, nous étions au point de rupture, mais nous avons tenu bon. C’est le lieu pour moi de féliciter et rendre un vibrant hommage aussi bien à mes chefs qu’aux commandants qui étaient avec moi, avec une mention spéciale à l’endroit des éléments, les gardiens de la paix qui ont fait preuve d’une bravoure extraordinaire. Je sais qu’ils en ont payé de leur personne, parce qu’on n’a eu plusieurs blessés, 23 au total, malgré nos protections, dont le commandant du Gmi et moi-même.

Sémou Pathé Guèye et Mamdani

Posted in Afrique, Sénégal, Science by hadyba on mai 5, 2011

Ce discours de Mamdani me donne l’occasion de rendre hommage, deux ans après son décès, à mon ancien prof de l’UCAD Sémou Pathé Guèye.

SPG était un philosophe politique, communiste Old School et membre historique de la direction du parti communiste local (le PIT). Pendant tout le temps où il faisait de la politique, il enseignait dans tout un tas de départements de l’université. Nous autres étudiant de philo considérions qu’il était NOTRE prof et c’était juste choquant de croiser un étudiant en sociologie ou en journalisme qui nous disait qu’il était LEUR prof!

Je n’étais plus vraiment l’un de ses étudiants quand je quittais Dakar parce que j’étais résolument dans la filière logique/philo des sciences. J’ai cependant assisté à certains de ses séminaires de troisième cycle. Une dizaine d’années avant son décès,  SPG a mis en place ce séminaire de philosophie contemporaine où ils discutaient de problèmes très actuels. Son idée était qu’il fallait que ses étudiants et lui se saisissent de problèmes qui se posaient à notre société et y réfléchissent sérieusement. C’était là une révolution par rapport à la tradition qui voulait que nos étudiants en philosophie politique travaillent sur des théories abstraites et ne s’intéressent pas à la pratique qui est laissée aux politistes et aux sociologues. Je ne suis pas sûr que SPG ait réussi à réorienter suffisamment ses étudiants pour que des travaux moins généraux que ceux qui portaient sur la Globalisation ou bien sur la Démocratie aient vu le jour. Mais ses efforts en ce sens et son effort symétrique pour inculquer un peu de sens théorique aux futurs sociologues et journalistes sénégalais étaient appréciables.

Le texte de Mamdani me rappelle une histoire qu’il nous avait racontée. Il était invité dans une fac de Washington (L’American University il me semble). Lors de sa conf’ il s’était plaint que les institutions de Bretton Woods nous imposaient des politiques idiotes et ne prenaient même pas la peine de consulter les universitaires locaux qui souvent avaient travaillé des années sur les solutions aux problèmes que nous rencontrions. Le lendemain les gens du FMI ou de la BM l’invitaient à leur rendre visite et lui demandaient:  « Supposons que je vienne chez vous, que je vous montre un plan de développement détaillé. Que je vous demande ce que vous en pensez, que vous me répondiez qu’il est excellent et que d’ailleurs vous aimeriez travailler avec moi. Que je vous recrute pour mettre en oeuvre ce plan en vous payant un salaire bien plus élevé que celui que vous aviez avant. Comment pouvez-vous après cela dire que je vous ai imposé un plan de développement dont vous ne vouliez pas? »

L’enseignement que tirait SPG de cette rencontre c’est qu’avant de critiquer les institutions de Bretton Woods, il faudrait que nous autres intellectuels africains ayons d’une part proposé des politiques de développement différentes et d’autre part dit sincèrement à nos interlocuteurs ce que nous pensions de leur proposition plutôt que de regarder avidement le poste qu’ils pouvaient nous offrir. C’est cette attitude responsable qu’il essayait de promouvoir dans ses différents enseignements au département de philosophie et dans les différentes institutions qui formaient l’élite locale.

Malgré tous les efforts de SPG et d’une poignée de ses collègues, je dois avouer que c’est l’attitude que dénonce Mamdani dans son discours qui est la plus répandue dans mon alma mater tout comme dans les autres universités africaines. Le rêve de la plupart de nos profs est vraiment de devenir des consultants auxquels les institutions étrangères sous-traitent des études empiriques grassement rétribuées. Ils sont souvent indifférents à produire une théorisation de ce qui se passe localement et utilisent des concepts élaborés dans des contextes totalement différents sans essayer de les adapter à ce qui se passe localement ni même vérifier l’adéquation empirique de ce qu’ils écrivent avec la réalité qu’ils sont censés décrire. C’est un cercle vicieux dans lequel, parce que nos universitaires désirent avoir le même niveau de vie que leurs collègues occidentaux, ils répriment leur originalité. Ce faisant, ils se condamnent sans s’en rendre compte à la situation subalterne qu’ils dénoncent et maintiennent l’indigence intellectuelle des universités africaines. Le pire, dans le cas de l’UCAD, c’est que nos profs n’ont même pas l’excuse de la pauvreté: ils ne sont pas mal payés. En plus, c’est une stratégie perdante parce que les seuls intellectuels africains qui intéressent les grandes facs sont ceux qui ne répètent pas bêtement ce que disent leurs collègues.

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Péril vert

Posted in Blogroll, Economie, Politique, Science by hadyba on janvier 17, 2011

J’avais raté ce post de Dirty Denys. Je copie juste le début. Précipitez-vous chez-lui pour lire le reste:

La presse grand public se trouvera sans doute bien trop préoccupée de mauvaises nouvelles pour s’intéresser, même furtivement, au récent communiqué dans lequel une obscure société espagnole faisait part du démarrage de sa première usine, à Alicante, sur une cimenterie du mexicain Cemex. La presse économique ne partageant pas les mêmes préoccupations, La Tribune de mardi consacra pourtant à cette information une pleine page ; en effet, il s’agit de la première application d’un procédé qui sort ainsi du statut expérimental qui a été le sien durant quelques années, et qui vise à produire une gamme complète d’hydrocarbures en cultivant du phytoplancton. Par rapport aux biocarburants tirés du maïs ou de la betterave, et dont l’effet principal, et l’intérêt essentiel, s’exerce au profit de la trésorerie des exploitants agricoles, et au détriment des motocyclettes dont les moteurs encaissent difficilement l’E85, ces algues unicellulaires présentent une remarquable quantité d’avantages.

PS: Ce type écrit tellement bien qu’on a tendance à se laisser prendre par le style plutôt que par le contenu !

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La conjecture de Riemann expliquée

Posted in Philosophie, Science by hadyba on janvier 3, 2011

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Barry Mazur et William Stein ont mis en ligne le tapuscrit d’un livre intitulé: What is Riemann’s hypothesis? (pdf) Comme le titre l’indique, ils se proposent d’expliquer ce qu’est cette hypothèse et accessoirement pourquoi elle est importante pour les maths, l’informatique etc. Leur ambition est vraiment de donner une explication de cette conjecture aux gens qui ont un bagage mathématique minimal. Du coup, ils ne commencent pas par exemple par la fonction dzeta de Riemann qui a l’inconvénient d’être presque incompréhensible pour un être humain normal ;-). Pour l’instant, j’ai survolé le livre. La section qui va de la page une à la page 68 est totalement lisible pour un littéraire. Pour le reste, il faudra s’accrocher je pense.

La conjecture de Riemann est l’un des 23 problèmes de Hilbert. Elle n’a toujours pas été ni prouvée ni infirmée et si vous y arrivez, il y a $1000000 à la clé. Pensez à moi si à la suite de la lecture de ce livre, vous réussissez la démonstration.

Évolution & créationnismes

Posted in Philosophie, Science by hadyba on décembre 16, 2010

Via Cédric et Evolving thought, je découvre que le dernier numéro du journal Synthese est consacré à la théorie de l’Évolution et aux constructions intellectuelles qui se veulent ses rivales. Quoique je pense que les théories créationnistes ne sont en aucun cas scientifique, il me semble qu’elles sont une excellente occasion pour les épistémologues d’affiner leurs théories sur la distinction entre science et pseudo-science.

Je n’ai pas encore lu le numéro mais le papier de Bruce Weber sur l’histoire des arguments par le design depuis Hume est sans doute celui qui m’intéressera le plus. Tout le numéro est téléchargeable, mais apparemment seulement jusqu’à la fin de ce mois.