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Redondance

Posted in Economie, France, Poésie, Vie quotidienne by hadyba on décembre 25, 2010

En littérature, la redondance est plutôt une mauvaise chose. La répétition a peut-être des vertus pédagogiques, elle n’en est pas moins ennuyeuse. A la rigueur, en poésie, la répétition d’un même mot ou d’une même expression peut-elle créer une impression plus durable en inscrivant de manière obsédante une image dans notre esprit. Par exemple:

 

Masques ! Ô Masques !

Masque noir masque rouge, vous masques blanc – et noir –

Masques aux quatre points d’où souffle l’Esprit

Senghor, Prière aux masques

 

Mais en fait, ces répétitions poétiques ne sont jamais vraiment redondantes dans la mesure où on peut arguer que le retour du mot a une fonction qui n’est pas nécessairement la même à (ou pas déjà accomplie par) chaque occurrence. C’est par ce retour que le rythme est marqué ce qui fait qu’on doit plutôt considérer l’ensemble des itérations comme un système unique destiné à produire un effet bien déterminé. La vraie redondance littéraire a lieu dans la prose et elle est loin d’être aussi élégante que chez Senghor. Elle tend plutôt à s’identifier, dans ce domaine, au pléonasme. Elle est plus souvent l’apanage des petits littérateurs et des discoureurs à la petite semaine que la matière des prix Nobel. Il est rare que : « des vertes et des pas mures », « sûr et certain » ou « je le dis et le répète » se retrouvent chez de grands écrivains.

 

Il est un domaine en revanche, dans lequel la redondance n’est pas loin d’être considérée comme une qualité: l’ingénierie. Si vous concevez des navettes spatiales ou des centrales nucléaires, vous savez que la défaillance d’un système de sécurité est catastrophique. Ce que vous faites alors, c’est que vous les multipliez et faites de sorte que quand un système ne marche pas, un autre prenne le relais. Du coup, quand il y a un incident au coeur du réacteur, c’est en même temps grave et bénin. C’est grave parce qu’il faut réparer vite et que ce n’était pas prévu. Ce n’est cependant généralement pas dramatique parce que les systèmes de sécurité sont redondants et que le temps de réparer, il y a certainement d’autres systèmes qui prennent le relais. Il me semble que c’est exactement la même chose qui se passe dans les systèmes biologiques que nous sommes: nous avons plusieurs sous-systèmes qui ont évolué de la même manière et qui accomplissent des fonctions semblables. Plus un système est complexe, plus il est tolérant à la redondance voire en a besoin.

 

Une conséquence de la redondance, c’est qu’en temps normal, quand on décortique le système, on a l’impression que certaines composantes ne servent à rien.

-Vous avez telle sécurité dira l’expert, pourquoi diable avez vous besoin des systèmes y, z et w qui ont exactement la même fonction? N’est-ce pas là du gâchis? Nous avons besoin d’être efficace et de surveiller les coûts alors vos scrupules d’ingénieur, vous vous les gardez!

-Mais Monsieur…

-Non, il n’y a pas de mais qui tienne, je suis un expert, ce n’est pas un petit ingénieur, fonctionnaire de surcroît qui me dira comment réorganiser tout ça!

 

Vous comprenez maintenant pourquoi je vous parle de redondance? Cet automne, les RER au départ de mon lieu d’habitation étaient tout le temps en retard. Ils nous ont donné comme excuse qu’il y avait des feuilles sur la voie. J’étais juste abasourdi: l’automne survient chaque année et il y a immanquablement des feuilles sur la voie en automne. Pourquoi cela devrait-il poser des problèmes cette année? Le 8 décembre, une dizaine de centimètres de neige a presque totalement paralysé l’île de France, y compris les métros. Ce weekend de Noël, Roissy s’est retrouvé à court d’un liquide permettant de dégivrer les avions et ADP a géré de manière absolument catastrophique l’arrivée de la neige. Il me semble qu’on peut voir dans chacun de ces cas la conséquence de décisions prises ces dernières années et consistant à éviter la redondance au nom de la rationalité économique. Les entreprises et les grands ensembles urbains sont des systèmes complexes par excellence. Si on les gère en ayant comme seul impératif de minimiser les coûts, on se prive de la possibilité d’avoir des personnels qualifiés qui n’ont vraiment de travail que de manière cyclique mais qui à ce moment là s’avèrent précieux. Les évènements inhabituels se transforment en catastrophes juste parce que des crétins sans vision ne comprennent même pas la nature complexe des organisations dont ils ont la charge. Le pire, c’est que même sur le plan économique, il est probable que l’inexistence de ces personnels finit par coûter plus cher que le fait de les avoir et de les voir s’ennuyer au boulot une partie de l’année. Mais ça, essayez donc de le faire entrer dans la tête d’un soi disant libéral.

Photo volée ici.

 

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