Où l’Université tient son rang
Il n’y a pas longtemps, notre Premier Ministre s’insurgeait contre ce qu’il percevait comme la République des Professeurs. Il n’avait peut être pas tort de s’inquiéter. Quand l’Université tient son rang, ce n’est pas agréable pour les mystificateurs qui font de la politique. Ainsi, quarante-cinq professeurs de Droit et Science Politique ont pris la plume pour démonter la décision de nos cinq singes pardon Sages et faire éclater la forfaiture de notre Président. Personnellement, j’aime bien la péroraison:
En marge de cet argumentaire technique développé ci-dessus, l’avis du Conseil constitutionnel participe d’une dépréciation de l’enseignement de la science juridique dont l’institution universitaire, à travers les Facultés de droit, se trouve investie. Symbolisant le lieu où la pensée juridique dans ses formes les plus complexes est exprimée, l’Université indirectement voire directement est comptable des façons dont le Droit est dit dans l’espace social. L’avis du Conseil constitutionnel quoique en rupture totale avec les enseignements universitaires est, tout de même, perçu par certains sénégalais comme une incapacité de la science juridique, et par conséquent des juristes universitaires, à formuler un propos clair, éloigné de toute spéculation lorsqu’ils sont saisis de questions éminemment sociétales.Loin de promouvoir un corporatisme primaire dénué de tout sens éthique, les auteurs de ce manifeste soucieux de restaurer la dignité ainsi que la noblesse de la science juridique, se désolidarisent de cette présentation du Droit comme une discipline où la ruse, la rhétorique creuse, la spéculation… officient en maîtresses. Cette vision du Droit que le Conseil constitutionnel promeut dans l’imaginaire collectif naturellement ne peut rencontrer l’assentiment des universitaires rédacteurs de ces lignes. Plus que des législateurs (jurislateurs) ou des diseurs du droit (magistrats), c’est la conscience du Droit tout bonnement que la communauté universitaire entend incarner, et ce, sans prétention aucune.In fine, pour paraphraser Ronald Dworkin, les lignes qui parcourent ce manifeste sont une invite à tous les acteurs de la science juridique à prendre le Droit au sérieux.
Le texte entier est publié ici.
Le geste de Soumaïla
Tout le monde semble s’émerveiller du geste de Soumaïla Cissé. Non seulement il a félicité son victorieux adversaire, mais en plus il a pris la peine de se déplacer jusqu’au domicile privé de ce dernier pour le faire. Et il n’y est pas allé tout seul : il s’est fait accompagner de son épouse. Une fois chez le nouveau Président, les caméras nous ont montré une scène que l’on ne peut qualifier que de familiale. M. Cissé a été reçu par M. Keita en présence non seulement de son épouse mais également de ses enfants. M. Cissé a longuement péroré, reconnaissant sa défaite, félicitant son adversaire et priant pour le succès du pays. La réponse de M. Keita a été plus courte mais tout aussi cordiale.
Pendant sa prise de parole, mais également plus tard devant les journalistes nationaux et internationaux, M. Cissé a souligné la signification de son geste. En Afrique a-t-il expliqué, nous ne nous contentons pas d’un coup de fil pour féliciter notre adversaire. Surtout si cet adversaire est également un ainé. Nous nous déplaçons pour lui présenter nos respects et prier pour son succès.
Cette scène semble-t-il a plu à tout le monde. Les journalistes, éditorialistes et simples anonymes ont embouché la trompette de la « Leçon de démocratie pour l’Afrique. » Le geste de Soumaïla montrait avec quelle grâce il fallait accepter la défaite dans une démocratie. M. Cissé illustrait à quel point la synthèse des valeurs africaines de consensus et de respect des ainés avec la démocratie procédurale occidentale était bénéfique au monde entier. Personnellement, j’ai assisté à la scène en oscillant entre incrédulité et peur panique pour le Mali.
D’abord évacuons une chose : cette scène n’a rien de démocratique et encore moins de républicain. Le mélange des genres entre le public et le privé est l’ennemi juré de la République. Si M. Cissé voulait reconnaître la victoire de son adversaire en respectant les formes républicaines, il ne se serait pas déplacé à son domicile privé, en pleine nuit, flanqué de son épouse pour se faire recevoir par un IBK accompagné de son épouse et de ses enfants. Il aurait pris rendez-vous pour un entretien entre leaders politiques au bureau de M. Keita, ils auraient discuté et fait une photo op’. L’entretien au domicile privé de M. Keita en présence de leurs familles respectives relève du privé et n’avait rien à faire dans la geste politique d’une République en construction, cette République fut-elle africaine.
Ce geste est-il au moins démocratique ? Je ne crois pas, contrairement à ce que beaucoup affirment, que la recherche de consensus et la connivence entre adversaires politiques soient démocratiques. Je préfère un leader politique amer et ne reconnaissant sa défaite qu’avec difficulté. La règle du jeu démocratique veut que l’on accepte la défaite. L’élégance veut qu’on le fasse avec un semblant de bonne grâce. C’est du théâtre démocratique. Il n’en demeure pas moins que le but du jeu dans une démocratie c’est non pas l’élimination des confrontations mais leur civilisation. Les plateformes proposées par les partis politiques sont la formalisation d’options fondamentales pour l’évolution de la société. Les partis s’opposent parce que justement sur des questions extrêmement importantes et déterminant la qualité de la vie de millions de personnes, ils proposent des solutions incompatibles. Dans ce cas, perdre une élection, ce n’est pas seulement perdre l’occasion d’occuper un palais présidentiel et de faire la fortune d’un certain nombre d’obligés. C’est surtout être persuadé qu’une grande partie de la population souffrira à cause de politiques que l’on estime inadéquates et dangereuses. Ce n’est pas quelque chose dont on peut se remettre facilement. Il faut l’accepter gracieusement en se disant que le peuple a malgré tout choisi son sort mais ce n’est pas parce que l’on est Cassandre que l’on doit se réjouir de la chute de Troie. Il y a un double impératif démocratique quand on perd des élections : d’une part faire de sorte à atténuer la portée des politiques de l’adversaire que l’on juge nocives et d’autre part préparer le pays à comprendre les idées que l’on porte de sorte qu’elles s’imposent à la prochaine échéance électorale.
Ce qui m’a paniqué en voyant Soumaïla Cissé se faire recevoir en famille par Ibrahima Boubacar Keita, c’est que je n’ai pas vu deux leaders conscients de leurs responsabilités et en sincère désaccord sur ce qu’il faudrait faire pour améliorer le sort du peuple malien. J’ai vu un homme ayant de justesse raté le poste le plus lucratif du pays aller faire allégeance au nouveau patron pour préserver ses futurs intérêts. J’espère que je me trompe et que Soumaïla Cissé assumera avec dignité et férocité le rôle de chef de l’opposition. J’en doute vraiment et si les maliens veulent se protéger de leur classe politique, ils ont intérêt à ne pas trop vite se réjouir du geste de Soumaïla Cissé et de la rhétorique des valeurs africaines. La seule question qui vaille est la suivante : si la classe politique est unie, contre qui se coalise-t-elle ? La réponse pourrait bien être : « Le Peuple ! »
hubris
Si je comprends bien, le chef de Scotland Yard démissionne parce qu’il a recruté l’un des types ayant organisé les écoutes pour qu’il le conseille sur la meilleure manière de défendre son enquête bâclée sur ces mêmes écoutes. Et il n’a même pas la dignité de partir en silence, il souligne (ce qui est vrai) qu’il n’a rien fait que ce médiocre David Cameron n’ait fait. Comme si nous attendions autant de dignité d’un politicien de droite que d’un chef de la police!
J’avoue que je n’arrive toujours pas à accepter pleinement que les gens de News Corps ont eu l’hybris de penser qu’ils pouvaient écouter les conversations privées de qui ils voulaient sans que cela ne leur retombe dessus. Quoiqu’il en soit si jamais l’empire de Rupert Murdoch s’effondre (et si ces cinglés de frères Koch ne le rachètent pas) ce sera sans doute la meilleure chose qui soit arrivé à la démocratie universelle depuis la chute du mur de Berlin. Et nous le devrions à Hugh Grant! Ce monde est fou.
Écraser des perles
A Manama, le monument de la place de la perle rendait hommage à une activité économique qui a longtemps fait vivre la population: la pêche à la perle. Avant la découverte de la manne pétrolière, c’est à travers ce travail que la population de l’archipel subvenait à ses besoins. Et on peut supposer que pour le peuple de Bahrein ce monument est important dans la définition de son identité nationale. Il a en tout cas été assez important pour que les manifestants -qui protestent contre le fait qu’une poignée d’oisifs sunnites se déclarent leurs souverains et les dirigent sans véritable représentation- convergent vers ce monument. Voici ce qu’il reste du monument.
Ce qui est une illustration frappante du mépris que la famille régnante a pour l’histoire de son peuple.
Il y a eu un débarquement de troupes venues des autres monarchies sunnites du Golfe. Et une féroce répression de la population est actuellement en cours. Il se trouve que Bahrein, tout comme les autres pays du Golfe qui jouent les justiciers sauvages, est une grande amie des européens et des américains. Les familles régnantes des monarchies du Golfe sont totalement illégitimes, ne font, pour la plupart, même pas semblant d’être démocratiques, appliquent souvent une interprétation totalement barbare et rétrograde de la charia et sont parfois en contradiction avec la lettre même du Coran. Mais il y a un espoir voyez-vous parce que les démocraties occidentales ont une véritable influence sur ces régimes. Elles peuvent les obliger à s’ouvrir un peu et à accorder plus de liberté à leur peuples parce que les États Unis leur servent de bouclier contre leurs ennemis intérieurs et extérieurs. Or nous venons d’apprendre que les démocraties occidentales soutiennent et promeuvent, partout où elles le peuvent, les droits des femmes, l’égalité entre tous les êtres humains, la mise en place d’autorités représentatives etc. C’est à ça que sert l’ONU, c’est pour ça qu’elles ont envahi deux fois l’Irak. C’est également pour ça qu’elles ont soutenu les révolutions tunisiennes et égyptiennes. Les démocraties occidentales sont tellement sérieuses dans leur défense de ces valeurs universelles que, quand elles n’ont pas le choix, elles engagent la guerre pour éliminer un dictateur sanguinaire. C’est ce qui est en train de se passer en Libye.
Le seul problème qui se pose maintenant, c’est d’informer ces défenseurs intrépides de la démocratie que certains de leurs alliés sont des monarchies théocratiques, dictatoriales et sanguinaires. Voyez-vous, écraser le monument de la perle est une diversion des monarchies du Golfe essayant de nous faire croire que les seuls crimes de la famille Al Khalifa sont architecturaux. En fait, ça fait des années siècles que cette famille sunnite règne sur un peuple majoritairement chiite et prive ce peuple d’une grande partie de ses droits. Et j’oserais même révéler que la famille Saud ne règne sur les lieux saints que depuis les années 20. En plus l’Arabie Saoudite applique des lois tellement barbares qu’elle interdit même aux femmes de conduire des voitures. Accessoirement elle pratique des mutilations pour des délits et applique la peine de mort d’une manière hum, très libérale*. Quelqu’un aurait-il l’adresse de BHL pour qu’on l’en informe? Je suis sûr que s’il le savait, il en parlerait à Sarkozy, qui en parlerait à Obama et que bientôt tout le moyen orient serait démocratisé, au besoin par les armes. En plus, s’agissant d’alliés, il ne serait probablement même pas nécessaire d’en arriver à la guerre. Quelques discrètes pressions suffiraient. Si les démocraties occidentales sont déjà au courant de cette situation, ne font rien pour la régler mais choisissent de mener une guerre en Libye, je serais obligé de penser que leurs motivations sont moins nobles qu’elles ne le laissent entendre. Mais franchement, ça m’étonnerait. Obama, Sarkozy et tous les autres sont tellement désintéressés…
*Ils seraient pauvres, on dirait que c’est des sauvages
Le temps des outsiders
Je suis en train d’écouter les commentaires des pundits et des journalistes sur l’Égypte. Une curieuse impression que j’ai est qu’ils sont en train de rater quelque chose d’important et qu’ils n’arrivent pas encore à vraiment conceptualiser. Ils s’inquiètent du fait que les Frères musulmans sont la seule force d’opposition organisée. Ils aiment bien les manifestants qui sont de la classe moyenne, cosmopolites, démocrates etc… Le problème qu’ils voient, c’est que ce peuple là n’est pas organisé et n’a ni structure représentative, ni figure unificatrice. Même El Baradei n’est pas sûr d’avoir la légitimité pour parler au nom de ce mouvement spontané. La conclusion qu’en tirent beaucoup « d’experts » c’est que cette demande de démocratie, faute d’être structurée, n’aboutira qu’à un chaos sans lendemain. Un peu comme la Commune de Paris en 1871.
Je ne sais absolument rien de l’Égypte. Ceci dit, il me semble que ce que ratent les journalistes et experts, c’est que nous vivons à une époque qui est extrêmement favorable aux outsiders. Prenez le cas d’Obama, il a réussi à s’emparer de la Présidence US en contournant l’establishment du parti démocratique et en faisant directement appel à des gens qui ne se conceptualisent pas nécessairement comme ses inconditionnels ad vitam aeternam. Par rapport à Hilary Clinton et même à John Edwards, c’est lui qui était l’outsider. C’est pourtant lui qui a su mobiliser les énergies et créer un large mouvement autour de sa candidature. Ceux qui ont voté pour lui n’en sont pas pour autant devenus des membres de son parti ni ne lui ont fait personnellement allégeance. Une élection encore plus importante sur le plan géopolitique a vu se reproduire le même scenario, je parle bien évidemment de l’accession de Fromantin à la mairie de Neuilly. Un type excédé par l’attitude des politiciens légitimes décide à un moment donné qu’il allait prendre le contrôle du fief du Président et y arrive les doigts dans le nez!
Il me semble que notre époque avec son développement paradoxal de l’individualisme ET des réseaux sociaux est propice à une sorte d’anarchisme qui fait que les gens se réunissent de manière ponctuelle autour d’un projet qui peut être politique* et se dispersent très vite une fois le projet réalisé. Typiquement, les manifestants de la place Tahrir ont un projet très simple, ils veulent le départ de Moubarack et ils veulent que le pouvoir politique cesse de les emmerder et respecte à l’avenir leur volonté. La seule issue acceptable est le départ du potentat parce qu’autrement, le projet ne serait pas complété. Cette approche de la politique est la conséquence directe de nos modes de travail actuels qui font que dans la pub, l’informatique, le business ou même la recherche, nous avons des deadlines, travaillons d’arrache-pied pour réaliser quelque chose (campagne de pub/logiciel/Papier…) puis passons à un autre projet qui peut être totalement différent.
C’est cette manière de vivre et de faire la politique qui est incompréhensible aux yeux des journalistes et de beaucoup d’experts qui analysent encore le monde sous le prisme des idéologies essayant donc de prévoir comment la société sera organisé quand les forces subversives auront gagné. Ne voyant pas de plan, ils redoutent le chaos. Les outsiders quant à eux, n’ont pas peur du chaos et de l’imprévisibilité: ils veulent résoudre les problèmes à mesure qu’ils se posent; de manière pragmatique sans essayer de réduire le monde à leur vision préalable. Pour l’instant, le problème, c’est Moubarack. Après on s’occupera du reste. Je ne sais pas du tout comment tout cela va se terminer. Il me semble évident que Moubarack va partir et que d’autres pays arabes vont être touchés par le syndrome tunisien. Je pense que les dirigeants des pays développés risquent également de subir des variantes (évidemment probablement non violentes) de ce syndrome où des mouvements spontanés font dérailler les sages plans des experts. D’une certaine manière on peut même considérer que la résistance au TCE en 2005 est un précurseur de ce que l’on voit actuellement. Tout ceci mériterait d’être pensé de manière plus systématique par un philosophe politique ou un politologue qui définirait un paradigme unificateur… mais si ça se trouve, c’est déja fait! En attendant, something is definitively blowin’ in the wind….
*En écrivant ça, me revient un article d’OWNI sur la manière dont ils ont bossé pour wikileaks. Je mettrai le lien quand j’aurai plus de temps.
Wishful thinking
Le Shin Beth et le chef de l’armée israélienne assurent le président Olmerts qu’il y a des signes de désorganisation du Hamas, qu’il y a là une occasion historique d’éliminer totalement cette organisation et que la désobéissance civile à l’encontre du Hamas commence. D’après certains journalistes, Olmerts les croit d’autant plus que sa cote de popularité commence à remonter dans les sondages. Sur un plan purement stratégique, cette attaque de Gaza me paraît totalement stupide et contre-productive mais ce n’est même pas la peine de le dire: il suffit tranquillement d’attendre que les bombes cessent de tomber puis de voir si les tirs de roquette voire les attentats suicide ne reprennent pas. Le seul objectif stratégique qui pourrait être réalisé par cette guerre, c’est de faire élire Mme Livni. Si tel en est bien l’objectif, nous pouvons d’ores et déjà prédire que cette guerre sera probablement un succès.
C’est sur le plan moral que cette guerre me paraît désastreuse pour Israel. Il en va de cette guerre comme de Guantanamo: on peut tourner les choses comme on veut mais le fait est qu’une société qui se veut démocratique a choisi de s’imposer des standards qui ne sont pas ceux d’une société barbare. Quels que soient les enjeux stratégiques, une démocratie ne torture pas, ne bombarde pas des endroits à haute densité d’habitants civils. Point barre. Si Israel veut descendre les chefs du Hamas, qu’il le fasse au moins proprement.
Tout ceci est très désespérant mais franchement, je ne crois pas que j’aie grand chose d’autre à en dire. On peut juste espérer que la nouvelle administration US aura le courage d’imposer un plan de paix équilibré. Et pendant qu’ils y sont, s’ils pouvaient jeter un coup d’oeil au Congo, ce serait cool.
Article original le 13/01/09
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