Macky, Sonko et l’hubris

Les grecs avaient cette idée le signe le plus implacable qu’un humain court à sa perte, c’est qu’il tombe dans l’hubris. Cette dernière est la forme extrême d’arrogance, la démesure qui fait que l’on s’égale aux dieux et s’attribue les pouvoirs qui ne sont pas les nôtres, singulièrement ceux d’une divinité. Ce faisant, l’humain destiné à se perdre déclenche la furie de Némésis, déesse du châtiment qui vient rééquilibrer l’univers en réduisant violemment l’arrogant à de justes proportions.
Le 31 décembre 2020, le Président Macky Sall a laissé éclater son hubris à la face du peuple sénégalais. Satisfait de ses réalisations et plus encore du contrôle absolu qu’il avait sur le pays, ayant éliminé la plupart de ses opposants, géré correctement la pandémie et domestiqué les syndicats, il se laissa aller à confier aux journalistes que la justice, c’était lui. Ces histoires d’indépendance de la justice, c’est bien joli, mais c’est bien lui qui signe les nominations des magistrats, nous dit-il et il s’attendait à ce que les magistrats lui obéissent dans les dossiers délicats.
Si cette manifestation ouverte de la présidence impériale de Macky Sall avait choqué tout le Sénégal, la vérité, c’est que l’on ne voyait pas vraiment comment y remédier. La magistrature sénégalaise ne semblait toujours pas disposée à prendre son indépendance. Les syndicats et société civile n’arrivaient absolument pas à faire entendre raison à Macky Sall. Sa famille et ses affidés continuaient à faire preuve de la même extrême arrogance, du même mépris pour les lois et la population que leur maitre.
Début février, l’opinion apprenait que la même justice qui avait, avant les élections présidentielles, éliminé celui qui était perçu comme le principal opposant au Président, ouvrait une enquête sur l’actuel principal opposant au président, M. Ousmane Sonko. Ce dernier, non seulement fréquentait un lieu pour le moins peu recommandable, mais en plus était accusé de viols multiples sur une des masseuses officiant dans cet établissement. Si les gens étaient généralement choqués que notre principal opposant, qui jusqu’ici était perçu comme un musulman rigoriste et austère, fréquente ce type d’établissements ; peu prenaient au sérieux les accusations de viol. La réaction de Sonko fut directe et offensive : il avait certes fréquenté cet endroit mais était victime d’un complot ourdi au plus haut sommet de l’État par Macky Sall lui-même et il vendrait chèrement sa peau.
Après un psychodrame de trois semaines que je vous épargnerai, l’immunité de Sonko fut levée par un parlement aux ordres et le Préfet de Dakar lui-même, accompagné de la force publique, fit obstruction au déplacement de Sonko vers le palais de justice en essayant de lui imposer un itinéraire puis l’arrêta pour trouble à l’ordre public.
C’est alors que Némésis entra en scène et déchaina l’enfer sur le Sénégal tout entier. Le pays connut les manifestations les plus violentes et les plus généralisées depuis au moins deux décennies. En quelques jours, des groupes de jeunes et de moins jeunes prirent d’assaut le pays, pillèrent les magasins Auchan, les stations service Total mais également d’autres commerces tenus par des sénégalais. La jeunesse éduquée prit d’assaut les réseaux sociaux, informa le monde sous le hashtag #FreeSenegal et mobilisa les stars du web.
En quelques jours, nous avons eu presque autant de morts que tout le processus quasi insurrectionnel qui a mené en 2012 au remplacement de Abdoulaye Wade par Macky Sall. Si mes comptes sont exacts, nous en sommes actuellement à 10 morts là où tout le processus antérieur en a fait 12.
Les choses se sont dénouées entre le 5 et le 8 mars. Le 5, on a eu droit à un discours martial du ministre de l’intérieur, l’ancien procureur en charge de l’élimination des opposants au Président Macky Sall. Non content de traiter les manifestants de terroristes et de voir à l’œuvre des « forces occultes identifiées », il réussit la prouesse de faire un réquisitoire sans concession et rempli de menaces mais n’adressant absolument pas les questions légitimes que les citoyens étaient en droit de se poser :
- Il était affirmé que son épouse avait coaché la plaignante, accréditant ainsi la thèse du complot d’État. Qu’en était-il ?
- La plaignante avait été transportée par un proche du pouvoir en probable violation du couvre-feu après le présumé viol. Quelle était la justification de cette implication ?
- Le jour où il s’exprimait, un jeune non-manifestant avait été tué par balle. Une enquête était-elle ouverte ?
- Tout le monde avait vu à la télé des nervis (probablement des lutteurs au chômage) qui battaient des manifestants sans être inquiétés par les forces de l’ordre. Cet usage de supplétifs était-il acceptable dans une république ?
Toutes ces questions furent royalement ignorées par un ministre qui se croyait toujours procureur. Le peuple manifesta donc de plus belle, les morts s’accumulèrent, une gendarmerie fut brulée au fin fond du pays, les forces de l’ordre furent clairement débordées et l’on vit pour la première fois de l’histoire du pays des supplétifs armés de fusils accompagner les forces de l’ordre usant de grenades lacrymogènes.

Le lendemain un politicien ancien opposant publiquement acheté par Macky Sall fit une adresse au peuple dans laquelle il proposa ce que je ne puis qualifier que de pacte de corruption à Ousmane Sonko. Les manifestations continuèrent de plus belle. Dimanche au cœur de la nuit, l’on apprit que le procureur levait une partie des charges retenues contre Ousmane Sonko et libérait ses compagnons.
Le lundi, les manifestations continuèrent, Ousmane Sonko fut libéré et fit un discours (que je trouve excellent) et le Président de la République fit également un discours où il essaya de dire qu’il comprenait la frustration de la jeunesse qui avait menée à ces manifestations, allait rediriger le budget vers le règlement de leurs problèmes économiques et veiller à ce que la justice s’exerce équitablement.
Une chose est sure, les manifestations que nous avons vues dans ce pays ne sont pas seulement dues à une affection pour Ousmane Sonko et une adhésion à son programme de gouvernement. Elles traduisent une profonde misère de la population. À titre d’illustration, voici, selon certains les sandales que portait l’un des jeunes tués dans les manifestations.

Comme en 2012, les sénégalais ont montré que s’ils sont prêts à tolérer un certain niveau de prévarication et d’autoritarisme, il y a des limites à ne pas dépasser avec eux et qu’ils n’accepteront pas l’installation d’une dictature. L’une des questions en toile de fond de cette révolte en effet, au delà du sort de Sonko, est le projet transparent du chef de l’État de briguer illégalement un troisième mandat. Les manifestations de ces derniers jours envoient le signal que, contrairement à ce que certains craignaient, le peuple sénégalais s’opposera avec la dernière énergie à un tel projet. Macky Sall en tiendra-t-il compte ? J’avoue que je ne le crois pas mais espérons que je me trompe.
Depuis le début de cette crise, ma position de principe est que quelque méfiant que l’on soit de la justice, l’on ne peut pas simplement rejeter d’un revers de la main des accusations aussi graves que le viol. Quand la poussière sera retombée, il restera qu’une dame, certes coachée et instrumentalisée par des proches du pouvoir, accuse notre principal opposant de viol. Il demeure également que cet opposant a lui-même reconnu qu’ils se sont tous deux trouvés dans la même pièce. De telles allégations doivent être investiguées. J’ai moi même voté pour cet opposant lors des dernières élections présidentielles. Je pense cependant que si nous devons refonder cette République, cela passe par un traitement égal de tous les citoyens. Le citoyen Sonko a été accusé de viol par une citoyenne. De deux choses l’une. Soit il est coupable et alors sa place est en prison. Soit il est innocent et dans ce cas, l’enquête doit démanteler le complot qui a mené à tous ces morts. Aucune autre solution n’est acceptable. Malheureusement, hier déjà des députés proposaient une sorte d’accord mafieux dans lequel l’Assemblée nationale empêcherait la justice de poursuivre l’enquête sur ces allégations. Ce serait là une décision catastrophique parce que cela perpétuerait cette tradition patriarcale trop commune selon laquelle les femmes sont quantité négligeable dans le cours de l’histoire.
Il est indéniable que la justice sénégalaise, qui est légalement indépendante, refuse de prendre son indépendance. Quelle que soit la décision qu’elle prendra dans cette affaire, il sera dit qu’elle est complaisante. C’est là que le discours du Président de la République est particulièrement décevant. Il a certes affirmé qu’une enquête indépendante aurait lieu mais il n’a pas dit comment il comptait s’y prendre pour que ce soit le cas. Or, c’est lui-même qui nous avait appris le 31 décembre que la justice sénégalaise obéissait à ses ordres. Il me semble que la société civile sénégalaise doit prendre ses responsabilités pour que la sortie de crise se fasse sans sacrifier les droits humains. Pour cela, il faut qu’elle se saisisse de trois questions graves : celle des manifestants tués, celle des supplétifs armés qu’on a vus réprimer les manifestants, et celle du viol. Il faut une enquête indépendante sur ces questions là et que tous ceux qui sont impliqués soient punis afin que plus jamais cela ne se reproduise. Nous l’avons vu, chaque cycle électoral au Sénégal, semble charrier son lot de morts. En 2012, nous en avons eu 12. En 2021, alors que nous ne sommes même pas en année électorale, nous en sommes à 10. Il faut que cela cesse. Et pour que cela cesse, il faut que ceux qui dirigent ce pays sachent que les organisations de la société civile les poursuivront jusque dans les juridictions internationales si nécessaire. De même, pour éviter que ne prolifèrent les nervis armés, il faut que le ministre de l’intérieur actuel soit mis devant ses responsabilités. Comment se fait-il que ses forces de police n’aient pas protégé les manifestants de ces supplétifs ? Last but not least, nous élisons un président, pas un monarque pour en remplacer un autre. D’une personne aspirant au pouvoir, nous ne devons présumer qu’elle ne peut mal faire. Bien au contraire, nous devons l’obliger à adopter les standards légaux et moraux les plus stricts. Les allégations de viol contre Sonko doivent donc être d’autant plus prises au sérieux qu’il pourrait à l’avenir détenir un énorme pouvoir sur les citoyens de ce pays.
Sur le pseudo État de droit sénégalais et accessoirement l’affaire Sonko

Mon collègue Oumar Dia et moi-même avons répondu à la réplique du ministre Coulibaly au manifeste des 102 universitaires. Nous pensons qu’effectivement le Sénégal n’est plus un État de droit et que la faute en incombe grandement mais pas totalement à son Maitre Macky Sall. Voici l’article que nous avons envoyé à la presse sénégalaise.
Monsieur le Ministre Coulibaly, Le Sénégal n’est effectivement plus un État de Droit ! Réponse à Monsieur Abdou Latif Coulibaly
Par Dr. Oumar Dia et Dr. Hady Ba,
Maîtres de Conférences titulaires de Philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop.
Le mardi 23 février 2021, cent deux (102) universitaires de plusieurs universités publiques faisaient paraître dans différents organes de la presse un manifeste portant sur ce qu’ils ont ensemble identifié comme étant une crise profonde de l’Etat de droit au Sénégal. Après avoir rappelé formellement ce qu’est un Etat de droit, nous avons tenu à ajouter que celui-ci n’est toutefois tel que si les pratiques qui y ont cours sont conformes aux principes généraux qui le définissent. Etant donné que parmi les principes généraux qui définissent l’Etat de droit celui relatif à l’égalité de tous les citoyens devant la loi est le plus essentiel, ces signataires ont tout simplement confronté ce dernier – qui du reste ne peut être effectif que si la justice est indépendante- à la pratique qui a cours dans notre pays depuis l’arrivée de M. Macky Sall au pouvoir en 2012. De la confrontation de ce principe formel essentiel de l’Etat de droit à l’usage qui en est fait concrètement depuis 2012 est sorti un verdict sans appel que les universitaires ayant signé la tribune ont tenu à assumer publiquement : l’Etat de droit au Sénégal est en déliquescence principalement du fait de l’asservissement du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif et particulièrement à la personne du président de la République M. Macky Sall.
Piqué au vif par ce verdict dont les signataires estimaient que leur responsabilité d’universitaires les obligeait à rendre public ; mais peut-être davantage préoccupé par les ravages que celui-ci est susceptible de produire sur l’image du pouvoir et du président qu’il sert depuis 2012, M. Abdou Latif Coulibaly s’est précipitamment hasardé à répondre jeudi 25 février 2021 en niant contre l’évidence la réalité de la crise sans précédent de l’Etat de droit au Sénégal. Dans sa vertueuse jeunesse, M. le Ministre Coulibaly a sans doute fréquenté les marxistes. Sacrifions donc à un rituel propre à cette mouvance. D’où parlons-nous ? Nous sommes deux universitaires dont l’un avait émis des réserves sur le manifeste de ses collègues et ne l’avait pas signé alors que l’autre l’avait signé. Nous sommes tous deux philosophes travaillant sur les questions d’État de droit et impliqués dans les affaires de la Cité et nous estimons tous deux que l’État de droit est effectivement en déliquescence au Sénégal depuis 2012 et nous proposons de l’illustrer factuellement en guise de réponse à M. le ministre Coulibaly.
Avant de revenir sur la fautive et hasardeuse réponse de Monsieur le Ministre au manifeste, nous tenons d’abord à rappeler à son intention ce que recouvre une bonne définition du concept d’Etat de droit.
Là où Monsieur le ministre Abdou Latif Coulibaly le définit à travers cinq (05) blocs qu’il n’a même pas la rigueur d’énumérer ; n’importe quel cours introductif destiné à des étudiants de Licence 1, définirait l’État de droit comme un Etat qui n’est pas fondé – même en partie – sur l’arbitraire d’un individu ou d’un groupe mais uniquement sur le droit. Ce cours citerait sans doute la célèbre formule du juriste Duguit selon laquelle dans un État de droit, « l’État est subordonnée à une règle de droit supérieure à lui-même qu’il ne crée pas et qu’il ne peut pas violer »
Ainsi la puissance publique qui l’incarne n’est-elle, en principe, soumise qu’au seul droit mais y est bel et bien soumise. Ainsi défini, l’Etat de droit exige trois conditions essentielles pour son effectivité : la première est la hiérarchie des règles de droit, la deuxième l’égalité de tous sans exception devant la loi et la troisième la séparation des pouvoirs.
La hiérarchie des règles de droit signifie que chaque norme juridique donnée découle d’un droit qui lui est supérieur. Dans cette articulation des règles de droit, la constitution se présente comme la norme ultime parce que c’est d’elle que découlent les traités internationaux d’abord et ensuite les lois et règlements en vigueur dans le pays. Que nous apprend cette hiérarchie des règles de droit – constitution, traités internationaux et lois et règlements – dans le cas précis du Sénégal ? D’abord que les nombreuses interdictions de manifestations de citoyens depuis 2012 sont illégales et constituent des atteintes graves à la constitution du pays et à l’Etat de droit et ensuite que la condamnation en appel de Khalifa Sall dans le cadre de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar après la décision de la cour de justice de la CEDEAO annulant le jugement rendu en première instance sur cette affaire est un cas parmi tant d’autres où des magistrats payés par les sénégalais pour rendre la justice en leur nom ont choisi de s’écarter de ce que Monsieur le ministre Coulibaly appelle lui-même dans sa réponse au manifeste la prévisibilité de la loi. La deuxième condition essentielle de l’Etat de droit est celle relative à l’égalité de tous sans exception devant la loi. Cette condition elle-même ne peut être effective que si la justice est indépendante. L’égalité de tous devant la loi implique que les personnes et les organisations sont dépositaires de la personnalité juridique comme personnes physiques pour les premières et comme personnes morales pour les secondes ; l’Etat étant lui-même considéré dans un Etat de droit comme une personne morale susceptible d’être jugée et condamnée. Quant à la troisième et dernière condition essentielle de l’Etat de droit, elle renvoie à la séparation des pouvoirs. Un Etat de droit est nécessairement un Etat où est effectivement réalisée la séparation et l’indépendance des pouvoirs entre eux. L’État de droit s’oppose donc à un système politique dans lequel tous les pouvoirs seraient concentrés entre les mains d’un despote. L’Etat de droit est un Etat au sein duquel le pouvoir est distribué de façon équilibrée entre des organes indépendants et spécialisés. Dans l’Etat de droit, le pouvoir de voter les lois est dévolu au législatif, celui de leur exécution à l’exécutif et enfin celui de rendre la justice au judiciaire.
Ce petit rappel introductif à l’intention de Monsieur le ministre Coulibaly, qui est loin d’avoir un niveau de maîtrise du concept d’Etat de droit équivalent à celui de nos étudiants de première année de droit ou de philosophie, atteste que l’indépendance de la justice constitue la colonne vertébrale de l’Etat de droit. Sans indépendance de la justice, ni la hiérarchie des règles de droit, ni l’égalité des personnes physiques et des personnes morales devant la loi, encore moins la séparation des pouvoirs ne peut être effective. En reprochant donc au manifeste des universitaires d’avoir restreint son diagnostic de la crise de l’Etat de droit au Sénégal à la seule dimension de l’indépendance de la justice, Monsieur le ministre verse dans une forme d’arrogance que ne justifie nullement une quelconque maîtrise de sa part du problème dont on a fait le diagnostic mais qui découlerait plutôt de profils psychologiques de gens grisés par le pouvoir et naturellement prédisposés à servilement se ranger dans le camp des puissants du moment. Ayant délibérément pris le parti de l’arbitraire plutôt que du droit, du vraisemblable plutôt que de la vérité, Monsieur le ministre Coulibaly ne pouvait pas se poser la seule question qui vaille dans ce genre d’exercice : le diagnostic des 102 universitaires est-il ou non corroboré par des faits ? Son esquive de cette incontournable question nous amène à rappeler à son bon souvenir quelques procès d’opposants politiques à Monsieur le Président Sall menés en violation flagrante de leurs droits et qui prouvent à suffisance que la justice n’est pas indépendante au Sénégal depuis 2012.
L’article 28 de notre charte fondamentale stipule que c’est l’indépendance de la justice qui garantit les libertés fondamentales des citoyens. Cela veut dire que c’est elle qui garantit également les libertés académiques qui sont au fondement de l’Université et de notre travail d’universitaires. Sans indépendance de la justice donc, le droit cesse d’être la règle pour faire place à l’arbitraire. C’est ainsi qu’à la prévisibilité de la loi dans l’Etat de droit se substitue celle de l’arbitraire et de la loi du plus fort dans l’Etat despotique. Ce qui introduit une rupture d’égalité entre les citoyens devant la loi. Au Sénégal, cette rupture d’égalité entre les citoyens devant la loi est devenue particulièrement inquiétante depuis 2012 avec le traitement clairement différencié par la justice entre les citoyens appartenant à l’opposition politique démocratique et ceux appartenant aux partis de la coalition au pouvoir.
Accusé en 2013 d’enrichissement illicite, le citoyen Karim Wade, qui allait évidemment devenir un redoutable challenger du Président Macky Sall à l’élection présidentielle suivante, a été attrait devant une juridiction d’exception – la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) – chargée de le mettre hors course et de faciliter la réélection du président en exercice. Si tel n’était pas la mission de la CREI, les fondamentaux de l’Etat de droit auraient prévalu dans son procès et la condamnation de l’Etat du Sénégal par la Commission des droits humains de l’Organisation des Nations Unies (ONU) aurait entrainé ce qui était légalement prévisible dans ce cas à savoir son acquittement et sa relaxe pure et simple.
Après la condamnation suivie de l’exil forcé de Karim Wade, un autre citoyen sénégalais potentiel redoutable adversaire de Macky Sall à l’élection présidentielle de 2019 a été poursuivi en violation flagrante de ses droits, condamné de façon expéditive et mis hors course à la compétition électorale. Soupçonné de détournements de deniers publics dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, le député Khalifa Sall a été entendu en toute illégalité en l’absence de ses avocats par le maître des poursuites. Condamné en première instance, le citoyen Khalifa Sall a non seulement fait appel de sa condamnation mais a également introduit un recours en annulation auprès de la cour de justice de la CEDEAO. Après examen de son recours – il est important de rappeler que la hiérarchie des règles de droit est le premier fondement de l’Etat de droit -, la cour de justice de la CEDEAO a tout simplement annulé sa condamnation en première instance au motif que son droit à être assisté par son avocat n’avait pas été respecté par le maître des poursuites lors de sa première audition. On s’attendait logiquement -prévisibilité de la loi oblige !- à ce que sa condamnation en première instance soit infirmée par le jugement en appel. D’ailleurs, la procédure en appel avait apparemment commencé à s’inscrire dans le sens de l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO en décidant d’emblée de l’annulation pure et simple de son Procès-Verbal d’audition. Mieux, le Procureur de la Cour d’appel avait même demandé dans son réquisitoire initial à ce que la cour d’appel se conforme à l’arrêt de la cour de justice de la CEDEAO et relaxe le citoyen Khalifa Sall. C’est au moment où on attendait la décision qui allait être rendue la semaine d’après qu’une autre des supposées voix et plume de M. le Président Macky Sall, zélé défenseur de son maître et qui ne compétit dans ce domaine qu’avec le Ministre Abdou Latif Coulibaly a osé sortir un papier à charge pour désavouer publiquement le réquisitoire du Procureur de la République. A la suite de ce désaveu public du maître des poursuites par Monsieur Madiambal Diagne, le Procureur de la République a semblé avoir mystérieusement vu la lumière en changeant tout bonnement par écrit son réquisitoire la veille même de la décision de la cour d’appel. La suite est connue : la condamnation en première instance de Khalifa Sall a été confirmée par la Cour d’appel malgré l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO et l’annulation de son PV d’audition pour violation de ses droits. Les doutes légitimes sur l’indépendance de la justice dans cette affaire sont d’autant plus légitimes que dans un cas similaire, l’affaire Thione Seck, la justice avait décidé d’annuler toute la procédure au motif que le prévenu avait été entendu en l’absence de son avocat.
Avec l’affaissement de l’Etat de droit et le règne de l’arbitraire au Sénégal depuis 2012, les citoyens sénégalais ont de fait cessé d’être traités de la même façon par leur justice. Il est donc compréhensible que par induction, l’on en conclut que tous ceux qui sont membres de l’opposition politique et démocratique et qui sont perçus à tort ou à raison comme ayant de réelles chances de l’emporter feront nécessairement face non pas à un candidat du parti au pouvoir mais bien à M. Macky Sall suppléé par une justice sorti de son rôle d’arbitre neutre. Il est également compréhensible que par induction, les citoyens sénégalais estiment qu’une candidature du Président sortant Macky Sall à un troisième mandat serait sanctifiée par le Conseil Constitutionnel non pas parce qu’elle serait conforme à notre loi fondamentale, mais parce que la justice sénégalaise a de facto perdu son indépendance.
Parlons à présent de ce que les américains nomment The Elephant in the room, le non dit qui sert de toile de fond aux agitations de M. le ministre et que les universitaires ont évité de mentionner dans le manifeste : l’Affaire Sonko. Les deux auteurs de cet article ont un profond désaccord sur l’analyse à faire de cette affaire mais deux choses nous paraissent indéniables :
- Quelles que soient les circonstances, une accusation de viol est une accusation sérieuse qui doit faire l’objet d’une enquête sérieuse.
- Il est indéniable que cette affaire a été politisée depuis le début non seulement par l’attitude de l’accusé mais également par l’interférence d’acteurs politiques proches du pouvoir qui ont encadré l’accusatrice.
Nous nous retrouvons donc face à une impasse dont M. Macky Sall, Président de la République, porte une grande responsabilité. En instrumentalisant la justice à des fins électorales, il nous a installé dans une instabilité juridique qui fait que toute décision de la justice sera interprétée non pas comme un acte légal mais comme un acte politique. Ne nous voilons cependant pas la face, la responsabilité n’en incombe pas uniquement au Chef de l’État : le pouvoir judiciaire, au Sénégal est bel et bien un pouvoir. Ce sont les magistrats qui, individuellement sont appelés à prendre leurs responsabilités et à dire le droit sans se soumettre aux injonctions des politiques. Les organisations de la société civile et les citoyens ordinaires doivent quant à eux se mobilier pour protéger non pas une personne mais notre État de droit contre ses contempteurs quels qu’ils soient. S’il est inadmissible que M. Sonko appelle à l’insurrection et refuse de se soumettre aux procédures légales, fussent-elles dévoyées, il est encore plus inadmissible que la justice sénégalaise serve à donner une caution judicaire à la liquidation déjà programmée des adversaires politiques du Président en exercice. C’est ce qui est arrivé à Karim Wade et à Khalifa Sall. Et conformément à la règle du précédent, les sénégalais ont de bonnes raisons de penser que l’affaire Ousmane Sonko n’est rien d’autre qu’une machination du pouvoir destinée, grâce à la complicité de juges de service, à éliminer un adversaire politique. En est-il véritablement ainsi ? C’est à la justice de tenir son rang et d’organiser une instruction irréprochable.
Pour terminer, nous invitons M. le ministre Abdou Latif Coulibaly à cesser de détourner le regard et à examiner en toute honnêteté la situation actuelle de l’Etat de droit dans notre pays. La référence du manifeste des universitaires sénégalais au texte de Cheikh Anta Diop du 18 novembre 1979, loin d’être hors contexte, traduit plutôt un recul d’au moins quatre (04) décennies de l’Etat de droit sous Macky Sall. Nous n’avons cependant aucun espoir que cette invite lui serve, comme le montre le Faust du conte populaire allemand, une fois qu’on a échangé son âme contre les plaisirs sensibles, nul retour n’est possible.
Pétrole et Gaz Sénégalais, voir au delà du frère
(Caricature de Odia)
La BBC étant l’une des institutions les plus crédibles et indépendantes au monde, les agissements de M. Aliou Sall, frère du Président de la République, auraient mérité une enquête indépendante et non le show médiatique d’un procureur, à tort ou à raison, largement discrédité dans l’opinion et perçu comme un affidé du pouvoir en place.
La probable corruption du frère du Président de la République et l’éventuelle instrumentalisation de la justice sont graves. Ce qui est plus dramatique, c’est l’absence totale de projet socio-économique et la passivité stratégique, qui informent nos décisions concernant les ressources naturelles dont notre pays dispose. Un certain nombre de questions ne sont même jamais apparues dans le débat public. Elles sont pourtant essentielles.
- D’abord, la question préalable : Devons-nous exploiter nos ressources naturelles ? Quand j’ai posé cette question à mes étudiants, ils étaient sidérés. Ça leur semblait être une question oiseuse. Cependant, le Sénégal a réussi à établir une démocratie plus ou moins fonctionnelle, là où des pays riches en ressources naturelles ont dérivé dans la dictature et l’anarchie. Ne devrions-nous pas craindre la malédiction des ressources naturelles et ne les exploiter qu’avec circonspection ? Même si nous convenons d’exploiter le pétrole et le gaz, pourquoi ne pas définir un moratoire le temps de former les personnes à même de l’exploiter avant de commencer à signer des contrats avec les multinationales ?
- Le COS pétro-gaz est une excellente initiative mais quels sont les profils qui devraient y siéger ? Quelles doivent être ses attributions ? Cela n’a jamais été discuté. Le Président de la République a été à l’initiative de sa création et de sa composition. L’on aurait pu mettre en place un conseil d’orientation composé de membres qualifiés et statutairement indépendants. Ce n’est pas le cas. L’on aurait pu coopter dans ce conseil des spécialistes d’éthique, des religieux et des environnementalistes. L’on aurait pu donner des prérogatives d’enquête et d’éclairage du Chef de l’État et du Peuple, à ce COS. On ne l’a pas fait. L’on se retrouve donc avec un faire valoir plus qu’un véritable instrument de conseil, de gouvernance ou d’orientation.
- Le ministère des mines est-il équipé pour négocier avec puis contrôler les multinationales ? Sur le plan des techniques minières, les fonctionnaires du ministère sont tout à fait qualifiés. Quid des moyens ? Là où les multinationales peuvent mobiliser les meilleurs cabinets d’avocats et les meilleurs techniciens au monde, nous avons un ministère dans lequel avoir même des voitures pour aller sur le terrain pose problème. Quelques fonctionnaires peuvent-ils faire le poids, préparer les dossiers techniques et conseiller dans les négociations avec ces multinationales là ? Est-il responsable de signer le moindre contrat minier d’envergure sans s’être assuré que la négociation sera, pour la partie sénégalaise, aussi professionnelle et informée que pour l’autre partie ?
- Quel rapport doit-il y avoir entre le politique et le technique dans ces contrats là ? Le politique a-t-il le droit de faire fi de l’avis du technicien ? Malgré le professionnalisme et le patriotisme des fonctionnaires du ministère des mines, il arrive que le politique prenne une décision contraire à leurs recommandations et qui engage l’État du Sénégal pour des décennies et lui fait perdre des milliards. L’architecture juridique ne doit-t-elle pas rendre certaines recommandations contraignantes pour l’autorité ? L’obligation de réserve du fonctionnaire ne doit-elle pas être levée quand elle entre en contradiction avec son obligation de loyauté non pas envers l’occupant temporaire du poste mais envers l’État et le peuple sénégalais ? Cette question mériterait au moins d’être discutée avant l’attribution de concessions nous engageant sur le long terme et vu les enjeux.
- Autre question essentielle : le code minier et la législation concernant le pétrole sont-ils adaptés à la nouvelle situation ? Ne favorisent-ils pas les conflits d’intérêts ? Ne donnent-ils pas trop d’avantages aux entreprises qui viennent exploiter nos ressources naturelles ? Sur toutes ces questions, Fary Ndao, dans son livre de 2018, L’or noir du Sénégal avait été assez prescient. Il est dommage que notre pays soit une gérontocratie ploutocratique où les propositions de jeunes comme lui ne soient même pas prises en compte, même quand elles sont écrites et documentées.
On le voit, que nous enquêtions ou non sur Aliou Sall, que nous destituions ou non son président de frère, si nous ne nous posons pas les bonnes questions et si nous ne réglons pas en amont nos problèmes de gouvernance et ne renforçons pas les prérogatives et l’indépendance de notre administration républicaine, le pétrole et le gaz sénégalais connaitront le même sort que l’or et le zircon sénégalais. Ce seront des ressources que des multinationales viendront exfiltrer du pays via une sorte d’économie parallèle sans impact sur la vie de nos populations.
PS : Tout ceci me rappelle cette chanson de Souleymane Faye ou il dit que « Xam soga amma gueuneu woor ». Si la démocratie sénégalaise n’avait pas été suffisamment mature, si nos ressources humaines avaient été aussi mauvaises qu’ailleurs, nous n’aurions pas eu ce genre de débat. Nos ressources humaines sont donc nos vraies ressources naturelles; nous avons intérêt à en prendre soin.
Macky Président, again
Macky Sall a donc gagné ces élections. Je n’attends strictement rien de bien de lui. Je sais cependant qu’il réussira à me surprendre. L’opposition essaie de se voiler la face et de refuser sa victoire.
Je crois que c’est un mauvais choix pour plusieurs raisons.
- D’abord, anthropologiquement, une des valeurs de ce pays est le consensus. Les gens préfèrent le consensus à la vérité. Refuser de féliciter le vainqueur, refuser d’user des voies de recours légales, c’est aller à l’encontre de cette valeur là.
- Ensuite, je préfère une démocratie imparfaite à une dictature ou au chaos. Le Sénégal est quand même une démocratie, aussi imparfaite fut-elle. Il faut essayer de jouer le jeu jusqu’au bout et d’accepter sa défaite quand elle survient. On ne peut pas vraiment dire que Macky Sall ait bourré les urnes ou falsifié les pv. Il est en revanche probable que l’Administration ait inscrit des gens qui n’auraient jamais du l’être sur les listes électorales et rendu difficile la récupération de leur carte d’électeurs à ceux dont elle soupçonnait qu’ils ne voteraient pas pour le Président sortant. Il faut évaluer ces manoeuvres là et réfléchir à la meilleure manière de les contourner la prochaine fois.
- Cependant, malgré les manoeuvres susmentionnées, Macky Sall aurait perdu si une très grande majorité de la population avait voulu son départ. Dans mon milieu social, à part un ou deux carrièristes, tout le monde voulait son départ. Si la même proportion de la population avait voulu son départ, manoeuvres ou pas, il serait parti. Il nous faut donc accepter ce fait: beaucoup, beaucoup de sénégalais n’en n’ont pas assez de ce Président voire approuvent son action. Ils sont plus de la moitié des quatre millions de votants. Macky Sall est donc indéniablement non seulement réélu, mais BIEN réélu.
- Qui ne connait pas ses propres faiblesses ne s’améliore jamais. L’opposition doit faire son autocritique. En démocratie, c’est le peuple concret et réél qu’il faut convaincre. Pas une abstraction. Si nous voulons changer le système, il nous faut comprendre d’abord ce qui en fait l’efficacité. Ça ne demande pas seulement de l’enthousiasme et des bons sentiments mais surtout de l’intelligence et du pragmatisme. Ça commence par une acceptation de la situation concrète et l’élaboration de stratégies rationnelles en vue de la changer. Ça commence surtout par la capacité à se voir sans complaisance et à reconnaitre ses propres échecs afin de ne pas retomber dans les mêmes travers. Reconnaitre, sans fard et sans condescendance, que l’on a échoué à convaincre une majorité du corps électoral sénégalais, c’est s’obliger à ne pas conclure que la majorité du peuple est irrationelle et corrompue. C’est s’obliger à se demander en quoi ce qu’on lui proposait ne correspond pas à ses besoins et à son vécu. Une fois ce diasgnostic sérieusement posé, on peut essayer de trouver les leviers qui nous permettront de convaincre.
Je souhaite vraiment que ce mandat de Macky Sall soit un succès. Malheureusement je n’y crois guère. Je n’ai pas non plus un tempérament de politicien. Je vais donc continuer à faire ce que je sais faire et qui me permet d’avoir la satisfaction de servir quelque peu: enseigner. C’est le genre de moment où j’aurais voulu être un philosophe pessimiste à la Cioran. N’attendant rien du monde, ne s’enthousiasmant de rien et indifférent au sort de ses semblables. Ce n’est évidemment pas mon tempérament. Cette victoire de Macky Sall me rend donc profondément triste. Le gâchis va continuer de plus belle.
Ousmane Sonko, malgré tout
Macky Sall est un beau gachis. Il a été notre premier président né après les indépendances. Il vient d’un milieu démuni. Il a été en butte à l’arbitraire de Wade et a réussi à le détrôner. Il est relativement jeune. Il aurait pu –il aurait du– être le meilleur président que le Sénégal ait jamais connu. Celui qui redresserait notre pays, reconstruirait notre pacte social en assurant l’équité. Celui qui, parce qu’il est un produit de l’école publique, veillerait à ce que nul enfant de ce pays ne se promène en haillons sur nos routes à mendier quand les enfants des plus nantis sont en classe. Malheureusement, il n’en a rien été. Venu à un moment historique où il aurait pu mettre à la retraite tous les vieux politiciens qui, depuis 40 ans ont systématiquement dévoyé notre patrimoine, il a choisi de s’entourer des plus roués d’entre eux. Il a maintenu en vie le système que les sénégalais avaient clairement rejeté en l’élisant. Il a manqué à sa parole sur la réduction de son mandat. Il a bâclé les procès qu’exigeait le peuple et a dealé avec Karim Wade pour le laisser quitter le pays. Il a instrumentalisé la justice pour enfermer un autre opposant qui aurait pu lui faire de l’ombre. Il a élevé la corruption en mode de gouvernement, protégeant ostensiblement ceux des siens qui avaient été épinglés par les organes de contrôles étatiques. Il a normalisé les conflits d’intérêts en confiant à des membres de sa famille des postes dans lesquels ils contrôlent des ressources étatiques extrêmement importantes et pour lesquels ils sont loin d’être les plus compétents. Alors que durant sa campagne électorale il s’était affiché en protecteur de la laïcité, il a gouverné en s’aplatissant devant les religieux leur montrant ostensiblement qu’il était prêt à partager les ressources de l’État avec eux, à condition qu’ils le soutiennent. Il a par ailleurs systématiquement calomnié ses propres fonctionnaires qui servent loyalement le pays pour des salaires souvent très bas. Il a enfin renforcé la tutelle de la France sur le Sénégal, donnant aux entreprises françaises des contrats faramineux et les payant rubis sur l’ongle là où le privé national est exsangue parce que l’État ne lui paie l’argent qu’il lui doit qu’au compte goutte. D’un point de vue égoïste, Macky Sall m’a été bénéfique, nous les universitaires avons eu une augmentation de salaire sous son règne. Sur le plan de l’intérêt de l’Université sénégalaise, il est catastrophique. Nos étudiants ont vu leurs droits d’inscription multipliés par dix pour un service toujours aussi mauvais. Les créations de postes sont anecdotiques, les universités qui devaient être construites pour faire face à l’augmentation démographique ne l’ont pas été. On a créé une Université Virtuelle du Sénégal pour y parquer des milliers d’étudiants à qui on donne des diplômes sans vraiment les former.
En toute conscience, je ne puis voter pour Macky Sall.
Je ne puis non plus voter ni pour Idrissa Seck, ni pour Madické Niang. L’un et l’autre sont sortis de la même matrice que Macky Sall. Ce sont des enfants de Maitre Abdoulaye Wade. Ils ont tété le lait de la corruption et de l’affairisme. Je serai bien embêté si l’un d’eux se retrouvait au second tour face à Macky Sall mais pour l’instant, le problème ne se pose pas.
Il nous reste alors deux candidats, Issa Sall et Ousmane Sonko.
J’avoue que ce que j’ai lu du programme de Issa Sall ne me convainc pas mais ce n’est pas là l’essentiel. Le parti de Issa Sall est directement issu d’un mouvement religieux. Je suis pour un État laïc et équidistant des confessions. Ce sera difficile voire impossible avec lui. Je ne vais donc pas voter pour lui.
Ne reste plus que Ousmane Sonko. Contrairement à beaucoup, je ne suis pas aveuglément séduit par Sonko. J’avais déjà trouvé ses premières attaques contre Macky Sall, Président de la République, déplacées venant d’un fonctionnaire soumis à un devoir de réserve. Il a été viré de l’Administration d’une manière que je juge illégale. Sonko aurait pu être notre Obama : un président jeune, intelligent et maitrisant les nouveaux médias. Je pense qu’il a le défaut des énarques sénégalais : de gens devenus aisés trop tôt dans un pays pauvres et qui ne valorise pas le débat contradictoire. Du coup, ils ont tendance à ne pas avoir une très grande ouverture d’esprit. Malgré tout, Sonko Président secouerait le système sclérosé qui tue ce pays. Avec lui, une nouvelle génération, qui n’a pas été formaté dans les partis politiques arriverait aux affaires. Ce seront majoritairement des fonctionnaires ayant le sens de l’État. C’est exactement ce qu’il nous faut. Depuis 2000, Wade et sa descendance ont détruit la seule chose qui tenait ce pays debout : la méritocratie républicaine construite par Senghor et qui faisait que les postes étaient occupé par des personnes ayant des qualifications fussent-elles minimales. Depuis Wade, il est devenu concevable de nommer n’importe qui à n’importe quel poste de responsabilité. Avec Sonko, ce ne sera probablement plus possible parce qu’il est porté par une génération qui aspire à la normalisation sur ce plan là. La classe politique sénégalaise ne s’y est pas trompée. Elle a généralement évité de soutenir Sonko, se rabattant sur Idrissa Seck quand elle ne pouvait composer avec Macky Sall. Sonko est donc l’alternative. Il fera ce que Macky Sall aurait du faire : éliminer cette vieille garde parasite qui a mis le pays à genoux et qui continue de le sucer. Nous sommes un pays où 42% de la population a moins de 15 ans mais où un Président de plus de 50 ans s’entoure de vieillards de plus de 65ans et se dispute avec son prédécesseur de plus de 80 ans. Il est temps que ça cesse. Ces reliques du passé doivent partir pour qu’une alternance générationnelle survienne. L’on peut critiquer Sonko sur beaucoup de points. Il est cependant clair qu’il a appartenu à l’une des administrations les plus corrompues de ce pays et qu’il n’a apparemment jamais franchi la ligne jaune. Macky Sall n’aurait pas, une seule seconde, hésité à le mettre en prison s’il avait eu vent de la moindre transaction douteuse. Il a un programme qui met les intérêts du Sénégal en premier. C’est malheureusement proprement révolutionnaire. Il aura contre lui beaucoup de lobbys ; des marabouts aux industriels en passant par la France et les fonctionnaires corrompus qui veulent que tout continue comme avant. Ce sera difficile. Il fera des erreurs. Il n’en demeure pas moins que le pays ne peut faire l’économie de cette phase difficile si nous voulons construire notre propre voie vers le développement. Tout est à reconstruire. Il nous faut une rupture nette et un leadership nouveau pour ce faire. L’une des choses qui me rassure paradoxalement, c’est que je suis loin d’être d’accord avec tout ce que propose Sonko. Il est probable que le lendemain de son élection, je commencerai à le critiquer. C’est sain et important dans une démocratie. Je crois d’ailleurs que s’il était élu, beaucoup de gens de sa génération le critiqueraient sur un point ou un autre. Cela assurerait l’émergence d’une nouvelle classe politique focalisée sur les programmes plutôt que sur les personnes et ce serait bon pour le pays. A contrario, j’ai bien peur que si nous réélisons Macky Sall, nous glissions doucement vers une dictature extrêmement corrompue. Tous ceux qui l’ont rejoint durant cette campagne recevront leur part de la manne pétrolière. Les autres seront impitoyablement réprimés par un président qui, dès son premier mandat, nous a montré qu’il n’a aucun respect pour la justice et les formes de l’État de droit. Nous sommes déjà la risée de l’Afrique avec nos opposants emprisonnés. Dimanche, nous avons le choix entre essayer de construire un avenir vivable pour notre pays ou continuer notre dégringolade vers la dictature. Je vais essayer de construire notre avenir en votant Sonko plutôt que de maintenir un statu quo délétère.
PS: Mon soutien n’a jamais été déterminant pour aucune élection mais j’aime bien ne pas me donner la possibilité de modifier rétrospectivement mes souvenir sur ce que je pensais à un moment donné.
École de l’imagination
HECTOR
Mon cher Busiris, nous savons tous ici que le droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature aussi librement qu’un juriste la réalité.
Jean Giraudoux, La guerre de Troie n’aura pas lieu (Acte II Scène 5)
Maintenant, voyons un des maitres d’une de ces écoles de l’imagination à l’oeuvre:
« Aujourd’hui, la nomenclature des actes que rend le Conseil constitutionnel est univoque. Il rend des décisions quand on le consulte en matière consultative. Encore une fois, c’est un seul cas car il n’y a pas deux. Il rend une décision »
…
« En règle générale, le Conseil constitutionnel du Sénégal n’a pas d’attribution consultative. »
…..
« on peut faire la concession que le Conseil constitutionnel a donné un avis …. il a donné un avis dans le cadre d’une décision »
Professeur Ismaila Madior FALL justifiant la forfaiture de son patron Macky SALL
I am not impressed
Où l’Université tient son rang
Il n’y a pas longtemps, notre Premier Ministre s’insurgeait contre ce qu’il percevait comme la République des Professeurs. Il n’avait peut être pas tort de s’inquiéter. Quand l’Université tient son rang, ce n’est pas agréable pour les mystificateurs qui font de la politique. Ainsi, quarante-cinq professeurs de Droit et Science Politique ont pris la plume pour démonter la décision de nos cinq singes pardon Sages et faire éclater la forfaiture de notre Président. Personnellement, j’aime bien la péroraison:
En marge de cet argumentaire technique développé ci-dessus, l’avis du Conseil constitutionnel participe d’une dépréciation de l’enseignement de la science juridique dont l’institution universitaire, à travers les Facultés de droit, se trouve investie. Symbolisant le lieu où la pensée juridique dans ses formes les plus complexes est exprimée, l’Université indirectement voire directement est comptable des façons dont le Droit est dit dans l’espace social. L’avis du Conseil constitutionnel quoique en rupture totale avec les enseignements universitaires est, tout de même, perçu par certains sénégalais comme une incapacité de la science juridique, et par conséquent des juristes universitaires, à formuler un propos clair, éloigné de toute spéculation lorsqu’ils sont saisis de questions éminemment sociétales.Loin de promouvoir un corporatisme primaire dénué de tout sens éthique, les auteurs de ce manifeste soucieux de restaurer la dignité ainsi que la noblesse de la science juridique, se désolidarisent de cette présentation du Droit comme une discipline où la ruse, la rhétorique creuse, la spéculation… officient en maîtresses. Cette vision du Droit que le Conseil constitutionnel promeut dans l’imaginaire collectif naturellement ne peut rencontrer l’assentiment des universitaires rédacteurs de ces lignes. Plus que des législateurs (jurislateurs) ou des diseurs du droit (magistrats), c’est la conscience du Droit tout bonnement que la communauté universitaire entend incarner, et ce, sans prétention aucune.In fine, pour paraphraser Ronald Dworkin, les lignes qui parcourent ce manifeste sont une invite à tous les acteurs de la science juridique à prendre le Droit au sérieux.
Le texte entier est publié ici.
Le Président contre le peuple
Il y a un mois, j’écrivais ici même :
Puisqu’avec moi, il faut que tout devienne politique, ça m’a fait penser à notre vie politique actuelle. Macky Sall cherche désespérément le moyen de se délier de sa promesse de réduire son mandat. Une des choses qui avaient été les plus désastreuses pour Wade, bien plus que sa corruption, est son fameux : « Maa waxoon, waxeet » (« C’est moi qui l’avais dit, je me dédis donc! » à propos de sa promesse antérieure de ne jamais briguer un troisième mandat) Cette formule avait fait l’effet d’une bombe et fait éclater à la face de tous que Wade était vieillard cynique et sans honneur qu’il serait déshonorant de garder comme dirigeant. En voyant le Professeur Ismaila Madior Fall essayer de trouver une porte de sortie au Président Sall, ma première réaction était: « Mais les politiciens ne peuvent-ils donc jamais apprendre des erreurs de leurs prédécesseurs? » Peut-être ma bourde répond-t-elle à cette question: Macky Sall serait aussi peu intelligent que moi. Dans mon cas, ce n’est pas bien grave, je n’ai pas encore de responsabilités, je suis en train d’apprendre et ai de très bon mentors. Dans le cas d’un homme dont les décisions engagent la Nation en revanche…
L’expédient trouvé par Macky Sall a consisté à demander l’avis du Conseil Constitutionnel sur la rétroactivité éventuelle d’une modification constitutionnelle, à se voir répondre que nos Cinq Singes pardon Sages n’aiment pas les lois rétroactives et à en conclure que l’avis du Conseil le liant, il n’a vraiment d’autre choix que de continuer à jouir du pouvoir pour deux années de plus contrairement à son désir le plus profond. Il n’est même pas besoin d’argumenter contre un acte aussi méprisable.
- Une promesse réaffirmée à plusieurs reprises sur toutes les plateformes doit être respectée, quel qu’en soit le prix.
- Un AVIS du Conseil Constitutionnel est un AVIS pour une bonne raison : c’est un AVIS, EN AUCUN CAS UNE DÉCISION. (J’ai même honte d’écrire une telle platitude.) Le Président a pris soin, durant tout son discours, de nommer DÉCISION ce qui n’est qu’un AVIS des Cinq Singes pardon
- Si personne –les juristes moins que tout autre– n’aime les lois rétroactives qui sont sources d’insécurité, il y a cependant des circonstances dans lesquelles de telles lois sont parfaitement acceptables. En l’occurrence, le peuple entier modulo quelques carriéristes et corrompus à la solde de ce pouvoir, veut de cette modification constitutionnelle et de son applicabilité immédiate.
- Je veux bien croire que le Président est entouré de pieds nickelés mais je ne puis croire qu’aucun d’eux n’est au courant du Précédent Poutine. Le Président pourrait faire passer la modification constitutionnelle, démissionner, laisser le pouvoir au Président de l’Assemblée, se faire nommer Premier Ministre, organiser des élections auxquelles il se représenterait, etc.
Le Président et ses affidés essaient de nous faire croire que c’est librement que Macky Sall avait décidé de réduire son mandat de sept à cinq ans et que donc son incapacité à tenir cette promesse ne saurait lui être reprochée parce que c’était une promesse libre faite sans contrainte et qu’il a essayé de tenir par tous les moyens mais que son sens scrupuleux de la séparation des pouvoirs l’empêche de tenir sauf à violer la loi fondamentale. Rappelons déjà qu’on parle de l’honorable gentleman qui, ministre de l’intérieur, avait tabassé un président de bureau de vote pour voter sans carte d’identité, qui, Président de la République, continue à présider un Conseil Supérieur de la Magistrature se tenant au Palais, s’est prononcé sur la culpabilité de Karim Wade avant le verdict, se permet de ralentir ou d’accélérer les enquêtes pour corruption au gré de ses alliances politiques et récupère de présumés délinquants dans son entreprise de massification de son parti politique. Cet honorable gentleman donc, sous prétexte de respect scrupuleux de la loi, veut violer une promesse électorale. Par ailleurs cette promesse n’a pas été consentie sans contrepartie. Le consensus qui prévalait en 2012 était qu’il fallait que le prochain président s’engageât à faire un quinquennat plutôt qu’un septennat. Ce consensus était porté par des organisations de la société civile comme le M23. C’est devant ces organisations que le futur Président de la République s’était engagé, entre les deux tours, à réduire son mandat et à appliquer le programme des Assises Nationales. Cette promesse a donc été faite dans un contexte ou le Président avait besoin du soutien de ces organisations pour gagner la Présidentielle et n’est en aucun cas une grâce que le Président de la République voulait nous accorder en vertu de son bon vouloir et de son sens démocratique.
Comme toujours avec Macky Sall, ce qui m’énerve c’est que c’est un Wade au petit pied qui fait perdre du temps au pays. Il a maintenu le suspense pendant quatre ans, a essayé les expédients les plus médiocres, n’a strictement rien fait sur le plan politique et finit par se ridiculiser. Ce qui va se passer maintenant, c’est que nous aurons pendant deux ans un Président délégitimé qui se fera contester partout où il passera. Le pays deviendra ingouvernable à l’instar de ce qui se passe déjà à l’Assemblée Nationale où les tripatouillages d’une majorité téléguidée du Palais ont tellement abaissé l’Institution que, pour la première fois de notre histoire, nous assistons à des pugilats entre députés. Personne ne peut, au bout de quatre ans de mandat, citer plus de trois réalisations incontestablement positives de ce Président. Les deux années qui arrivent seront pires : le pays perdra son temps en querelles stériles de politiciens. L’Administration, qui se sent déjà insultée par Macky Sall qui l’a à plusieurs reprises décrétée incompétente, n’aura aucune loyauté envers un Président qui vient violer de manière aussi obscène son serment. Les populations sortiront dans la rue pour un oui ou un non (coupures d’électricité ; absence de profs de philo ou de maths dans les écoles)
Il me semble évident que le Président n’a désormais strictement aucune chance de se faire réélire. Il s’est assuré de ce fait en déclarant la guerre au peuple avec le discours d’hier soir. En plus, il a donné deux ans à son opposition pour s’organiser. J’espère juste qu’après son départ, nous jugerons les crimes économiques que sa nomenklatura est actuellement en train de commettre.
Les dangereuses improvisations antiterroristes du Président Sall
La bonne nouvelle est que nos autorités semblent enfin prendre au sérieux la menace terroriste. Il y a eu une vague d’arrestation d’imams. Le Président de la République semble avoir prononcé un discours plutôt important définissant la doctrine antiterroriste du pays. Ce qu’il y a sur le site de la Présidence ne casse certes pas trois pattes à un canard même s’il y a des idées intéressantes. Je suppose que c’est ce qui a été préparé.
Le Président de la République semble cependant avoir improvisé.
Sur Seneweb, on nous apprend qu’il aurait dit :
« A coté de ces politiques, il faut développer un discours philosophique et théologique. Cela nécessite une formation des imams dans le sens d’un islam tolérant. Et c’est le modèle d’islam que nous, nous avons adopté depuis que l’islam a été introduit en Afrique, en tout cas en Afrique de l’Ouest. C’est un islam tolérant. Nous ne saurions donc accepter chez nous qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion. On a jusque là connu un islam modéré et tolérant. Donc, ça c’est une question de la société toute entière. Ce n’est pas seulement l’affaire de l’État, mais lorsque l’on voit des formes nouvelles, par exemple le port de voile intégral dans notre société, alors que ça ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions, ni même à nos conceptions de l’islam, nous devons avoir le courage de combattre cette forme excessive d’imposer. De toute façon, c’est le même refus que je pose à d’autres modèles qu’on veut nous imposer. C’est-à-dire que nous ne pouvons pas accepter que des modèles qui nous viennent, je ne sais d’où, soient imposées en Afrique»
Le Soleil quant à lui fait dire au Président :
« nous devrons travailler sur les pays qui ont le même modèle islamique ». « Nous avons aussi besoin d’une collaboration pour mettre en place des académies et des écoles. Il est nécessaire d’avoir un volet dans la formation des élites, pas seulement des imams dans cette bataille psychologique »
Le chef de l’Etat sénégalais a rappelé que la lutte contre le terrorisme doit être « l’affaire de toute la société » en faisant la distinction entre l’Islam africain et l’Islam d’ailleurs, fustigeant le « port du voile intégral qui n’est pas africain et ni conforme à notre culture ». « Nous devons avoir le courage de combattre et de ne pas accepter une autre forme de l’Islam que l’Islam tolérant que nous connaissons même s’il y a des gens prompts à financer. La société civile et la classe politique doivent être à l’avant-garde de ce combat. J’invite la classe politique à faire très attention sur la question de l’arrestation des imams à laquelle nous venons de procéder. Nous ne saurions également tolérer un certain type de discours de politique politicienne », a averti le président Sall.
Autant j’ai été paniqué toutes ces années de la légèreté avec laquelle notre classe politique traitait la question du terrorisme, autant les présidentielles improvisations de Macky Sall me paraissent malvenues et, pour tout dire, potentiellement dangereuses pour le pays.
Commençons par le tenace mythe de l’islam noir qui serait tolérant parce que syncrétique. Je ne vais pas me prononcer sur le fonds. Le président dit :
Et c’est le modèle d’islam que nous, nous avons adopté depuis que l’islam a été introduit en Afrique, en tout cas en Afrique de l’Ouest. C’est un islam tolérant. Nous ne saurions donc accepter chez nous qu’on vienne nous imposer une autre forme de religion.
Le problème, c’est que l’État du Sénégal n’adopte strictement aucune religion. Nous sommes une République laïque cela veut dire que nous traitons exactement toutes les religions de la même manière. Les citoyens sénégalais ont des choix philosophiques et religieux que l’État n’a pas à sanctionner. L’État les accompagne dans toute pratique religieuse qu’ils choisissent et qui est conforme à notre Constitution. S’immiscer dans les pratiques des citoyens pour voir s’il est tolérant ou pas n’appartient ni à Macky Sall ni à qui que ce soit d’autre. La seule chose que nous demandons à notre État, c’est de veiller au respect des lois et d’assurer la sécurité publique.
Comme toujours quand on régule ce genre de choses, c’est sur les femmes que l’on tape et Macky Sall n’échappe apparemment pas à la règle qui dit que :
l’on voit des formes nouvelles, par exemple le port de voile intégral dans notre société, alors que ça ne correspond ni à notre culture, ni à nos traditions
D’abord faut arrêter avec nos cultures et traditions. Nous n’avons pas élu un défenseur de nos cultures et traditions mais un Président de la République. Ensuite, si des femmes estiment qu’elles doivent s’habiller de telle ou telle manière de quel droit le Président de la République se permet-il de décider de la conformité de leur habillement à nos cultures et traditions ? Une minijupe correspond-elle à nos cultures et traditions ? Nos traditions sont-elles chrétiennes, islamiques ou païennes ? Le port de la barbe s’y conforme-t-il ? Le voile intégral est typiquement le genre de faux problèmes que l’on agite quand on est impuissant à améliorer la situation. Pourquoi des femmes choisissent-elles de se voiler ? Pourquoi nous réfugions-nous dans des formes de religiosité radicales ? Peut-être parce que nous sommes horrifiés par la corruption de ce qui aurait du nous servir de norme religieuse ? Peut-être parce que notre situation économique est tellement désespérée que nous parions tout sur l’au-delà ? Je n’en sais rien et à vrai dire, qui suis-je pour juger des choix religieux des gens ?
Au passage, Macky Sall nous rappelle subtilement qu’il avait glorieusement résisté à la puissance américaine sur la question de l’homosexualité :
De toute façon, c’est le même refus que je pose à d’autres modèles qu’on veut nous imposer.
Il y aurait donc, dans son esprit une égalisation entre l’homosexualité et l’islam radical. J Là, je suis bien d’accord avec lui : homo, hétéro ou salafiste, je pense que l’État n’a pas a rentrer dans la vie des gens tant qu’ils ne commettent pas d’activité délictueuses. Maintenant si l’État s’amuse à criminaliser ce que les gens font paisiblement (par exemple porter le voile intégral ou pratiquer un islam rigoriste) pour ensuite venir arrêter les gens, je crois qu’il y a un problème.
Enfin, plus grave, si j’en crois le Soleil qui est quand même le journal officiel, Macky Sall termine en menaçant son opposition républicaine :
J’invite la classe politique à faire très attention sur la question de l’arrestation des imams à laquelle nous venons de procéder. Nous ne saurions également tolérer un certain type de discours de politique politicienne
Donc notre Président s’arroge le droit d’arrêter qui il veut au nom de la menace terroriste et il faudrait que personne ne moufte ? Comme souvent en matière de lutte contre le terrorisme, les politiciens veulent préserver nos libertés en nous les confisquant. Non merci. Un Président qui s’est montré singulièrement aveugle sur le Mali, qui a failli conforter des putschistes au Burkina et qui expulse de opposants gambiens nous demande les pleins pouvoirs au nom de la lutte contre le terrorisme ? Non, je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Parmi les idées intéressantes du discours présidentiel, il y a l’idée que le terrorisme nait de l’inégalité et de la pauvreté. C’est justement pour résoudre ces problèmes là qu’on a élu Macky Sall. Pour l’instant, nous ne voyons aucune amélioration de notre situation économique. Les pauvres n’arrivent toujours pas à se soigner ni à assurer une éducation de qualité à leurs enfants. Une minorité de délinquants (et de) politiques s’enrichit toujours plus alors que les autres s’appauvrissent. Pour lutter contre le terrorisme, le Président doit laisser la police et la justice faire leur boulot et faire le sien qui est d’améliorer le sort de nos concitoyens. Il n’a pas besoin des pleins pouvoirs pour ça !
Touba comme non problème
(Je réactualise cet article avec cette photo qui montre que 8 ans plus tard, on en est toujours à la même situation. Avec des populations toujours aussi déterminées à se faire entendre.)
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Dans les salons feutrés où les instruits sénégalais font semblant d’être des intellectuels, quand portes et fenêtres sont closes, nous parlons parfois de Touba. Ce que nous y disons avec virulence et que nous faisons semblant d’oser dire en public est que Touba est un pouvoir féodal qui va détruire la République si des intellectuels aussi éclairés et courageux que nous ne nous saisissons de cette affaire et n’obligeons notre gouvernement à combattre ce centre de pouvoir alternatif. Touba, il est vrai a acquis une considérable influence dans le débat public depuis que le Président Wade, dans sa maléfique entreprise d’abaissement des valeurs républicaines, a décidé de publiquement faire allégeance au marabout. Wade n’était bien évidemment motivé par aucune vraie foi. Son but était double : d’une part s’assurer à peu de frais l’électorat mouride et d’autre part miner le sentiment républicain à un point tel que ses turpitudes ultérieures paraitraient normales. M. Macky Sall, lorsqu’il aspirait au poste de Président de la République du Sénégal avait semblé vouloir reprendre le pouvoir sur Touba. Son affirmation que : « Les marabouts sont des citoyens comme les autres. » avait été comprise comme visant particulièrement Touba et saluée ou honnie en conséquence. Malgré cette affirmation, Macky Sall a été élu suscitant immédiatement l’ire plus ou moins voilée de Touba. Contre toute attente, le Président Sall a multiplié les actes d’allégeance envers Touba, en pure perte bien évidemment, ce qui ne manque pas d’inquiéter les instruits sénégalais qui font semblant d’être des intellectuels.
Trois épisodes ont particulièrement dérangé.
- D’abord un estimé professeur de l’Ucad, double agrégé et docteur d’État a, de manière quelque peu… hum… imprudente, commis un livre dans une maison d’édition quelque peu… hum… disons grand public, livre dans lequel il affirmait (semble-t-il) que le prophète Mahomet n’avait fait rien de plus que recycler dans le Coran les historiettes grecques qui trainaient à l’époque. L’on s’attendait certes à ce que le livre fît modérément scandale parmi les autoproclamés et télévisuels défenseurs de la foi mais le Sénégal étant le Sénégal, ça ne devait pas dépasser un certain niveau. Les choses atteignirent cependant des proportions inattendues lorsque, out of the blue, le Khalife Général des Mourides himself revêtit son manteau de défenseur de la foi et commit un communiqué de presse condamnant dans les termes les plus fermes l’insulte à l’islam que lui paraissait être le livre de notre estimé collègue. Les mourides étant connus pour parfois devancer quelque peu violemment les désirs de leur guide spirituel, nous nous inquiétions tous pour notre collègue. Ce dernier nous épargna charitablement la nécessité de le défendre en décidant, de manière quelque peu … hum… disons non universitaire, de platement s’excuser d’avoir écrit ce livre.
- Ensuite lors de la confection des listes électorales pour les élections municipales et locales qui viennent de s’achever, il a d’abord été décidé qu’il n’y aurait qu’une seule liste électorale à Touba et que le Khalife Général des Mourides lui même se chargerait de la confectionner[1]. Quand la liste parut, on se rendit compte que contrairement aux dispositions de la loi sénégalaise, il n’y avait aucune femme. Cette liste était donc illégale. Au lieu de pointer ce fait notre ministre de l’intérieur lui-même choisit de faire une sortie dans laquelle il affirmait en que si la loi de la République n’avait pas l’heur de plaire à Touba, il était évident que le consensus républicain et la volonté générale voulaient que la République ignorât ses propres lois pour complaire aux desiderata du Khalife. En conséquence, la liste serait présentée telle qu’elle aux électeurs. L’on protesta prudemment mais mollement et tout le monde fit semblant d’être trop occupé pour coucher sur papier ou rappeler devant un micro cette évidence que la loi de la République devait s’appliquer sur tout le territoire de la République.
- Enfin, alors que l’on n’avait pas fini de s’étrangler devant une telle forfaiture ministérielle et de trouver le moyen d’ignorer subtilement notre propre lâcheté, un des députés les plus… hum… disons hauts en couleur, de notre assemblée nationale décida d’insulter au téléphone de la manière la plus vulgaire possible un membre de la noble famille du Khalife général des mourides. Ce député est, comme il se doit pour un député sénégalais, immensément riche et se trouve être élu de Touba. Sa conversation se retrouva comme par miracle sur internet. S’ensuivit une expédition punitive apparemment menée par UNE ÉMINENTE MEMBRE de la noble famille du Khalife générale des mourides –au fait s’ils ont en leur sein de telles amazones au sens de l’initiative si avéré, pourquoi ne pas simplement les coopter dans la liste des aspirants conseillers municipaux afin de répondre aux exigences de la loi ? Les voies du Khalife sont décidément bien mystérieuses !– Quoiqu’il en soit, cette expédition punitive saccagea domiciles et entreprise de notre député. La gendarmerie évacua certes la famille du député sauvant des vies mais ne fit strictement rien pour protéger les biens d’un homme qui était pourtant un représentant du peuple. Le saccage s’étant fait devant des caméras de télévision, l’on arrêta mollement 19 personnes qui furent libérées le lendemain au grand dam de la magistrature sénégalaise qui protesta officiellement contre une libération qu’elle imputait au politique mais se garda bien de creuser plus avant les circonstances d’une telle sortie de prison.
Devant ces trois épisodes, nos théoriciens de salon ont tendance à parler (en privé, ils sont pas fous) d’un problème Touba et à tenir les discours les plus virulents contre l’autorité spirituelle de cette Ville que tout le monde ici dit Sainte.
Bizarrement, je ne pense absolument pas que nous ayons un problème Touba. Le véritable problème que nous avons, c’est la lâcheté de notre élite, qu’elle soit politique ou intellectuelle. Mon père, qui n’est absolument pas un féministe, m’a confié avoir été choqué par l’apathie des organisations féministes qui auraient du exiger de l’État qu’il élimine une liste illégale remettant en cause un acquis des femmes. Mais bien sûr, les femmes qui dirigent les organisations féministes sénégalaises sont des membres de l’élite sénégalaise et donc aussi lâches que leurs homologues mâles. Paradoxalement, notre peuple quant à lui, même quand il est mouride, semble faire parfaitement la part des choses entre ce qu’il doit au spirituel et ce qu’il doit au temporel… Sauf quelques excités bien sûr. Le problème, c’est que notre gouvernement est trop lâche pour s’occuper de ces excités qui existent partout. Je suis scié que Macky Sall, ne le comprenne pas. Après tout, lors de la campagne électorale des présidentielles, non seulement il a dit que les marabouts étaient des citoyens comme les autres, mais il a également affirmé qu’il légaliserait l’homosexualité. Ces deux « fautes » ont été instrumentalisées à mort par le camp Wade. Ça ne l’a pas empêché d’être élu par une majorité de l’électorat. Je ne comprends pas qu’après cela, il éprouve le besoin de s’aplatir devant des marabouts qui de toute évidence n’ont qu’une influence marginale sur l’électorat. Lors des dernières législatives, la population a encore récidivé dans l’expression d’un sentiment républicain que notre élite s’évertue à lui nier. Il n’y a qu’une seule liste à Touba et cette dernière a été autorisée à se présenter malgré son caractère illégal. La ville de Touba est censée être ultra acquise au marabout. Malgré tout, le jour des élections, la dite Liste du Khalife l’a certes emportée mais alors qu’elle a obtenu 20 468 voix, il y a eu 1151 bulletins nuls et… 18 813 bulletins blancs. J’insiste, 18 813 citoyens, presque 50% des votants se sont déplacés pour aller mettre dans l’urne non pas le bulletin dont on affirmait qu’ils en voulaient évidemment mais un bulletin blanc leur permettant d’exprimer leur désaccord avec qu’on leur imposait au nom de leur supposée croyance religieuse. Il me semble que ces citoyens ne sont pas de moins bons mourides que les autres. C’est juste qu’ils se trouvent également être républicains. 50% de républicains parmi les votants d’une ville qui est censée être un repaire de fanatiques ? J’aurais souhaité pouvoir dire que je crois qu’il y a autant de défenseurs la République dans notre assemblée nationale et dans les autres ghettos où se concentre notre soi disant élite ; je ne le puis…
[1] Franchement, je ne suis même pas sûr de ça tellement cela s’est fait dans la confusion et les discussions subséquentes ont été prudentes et modérées contrairement à tous les usages sénégalais.
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