Subvertir la Géographie de la Rationalité
La Société Sénégalaise de Philosophie et L’Association Caribbéenne de Philosophie organisent à l’Ucad, du 20 au 22 juin 2018 une grande conférence sur le thème: Shifting The Geography of Reason. Ways of knowing, Past and Present. Une quasi double centaine de philosophes va débarquer à Dakar. Ils viendront principalement des amériques.
Le programme est téléchargeable ici (pdf).
Vous y êtes bien évidemment cordialement invités.
L’artiste sénégalais Djibril Dramé Gadaay nous a gracieusement autorisé à utiliser son travail comme support de communication. Qu’il soit ici remercié!
Colloque Hommage à Bachir Dakar 20-22 décembre 2017
Nous organisons la semaine prochaine un colloque à l’UCAD pour rendre hommage à Bachir.
Il y aura 48 chercheurs venus de France, des USA, de Belgique, du Congo Brazzaville, du Gabon, du Cameroun, de Cote d’Ivoire, de Hollande, d’Afrique du Sud, de Guinée Conakry, d’Italie, de Chine, d’Irlande et bien sûr du Sénégal!
Ça parlera de logique, de prospective, de philosophie, de pensée islamique, de philosophie africaine, de littérature etc… Nous travaillons dessus depuis deux ans et sommes assez fier du groupe que nous avons pu réunir.
Nous avons bénéficié du soutien du Recteur de l’UCAD, du Ministère de l’Enseignement supérieur, de la Fondation Rosa Luxembourg, du Codesria, de la Fondation Gabriel Pieri, de la Fac de Droit de l’UCAD, de la Fac de Médecine de l’UCAD, de la Pamécas, de l’Institut Français et de personne d’autre pour le moment mais notre budget n’est pas encore bouclé, vous avez encore deux jours pour nous aider si vous avez des possibilités.
Vous pouvez trouver le programme ici.
Bachir sur la philo islamique & à Paris
Il y a un certain temps déjà que j’ai envie de vous parler du dernier livre de Souleymane Bachir Diagne (mon ancien prof de Dakar actuellement à Columbia) que j’ai lu en octobre et qui parle de la philosophie islamique. Je profite du fait que Bachir[1] sera à Paris la semaine prochaine pour le faire. D’abord une annonce officielle:
Le Manifeste des libertés vous invite à une rencontre-débat avec Souleymane Bachir Diagne autour de son livre « Comment philosopher en islam » (édition Panama, 2008), le Jeudi 27 novembre 2009, à 19 h 45 à la Maison des associations du 14° arrondissement 22, rue Deparcieux, 75014 Paris (métro Denfert-Rochereau)
Si vous êtes à Paris, je vous conseille vivement d’y aller ne serait-ce que parce que Bachir est l’un des meilleurs conférenciers qu’il m’ait été donné d’entendre. Par ailleurs, puisque j’y serai, si certains d’entre vous veulent qu’on se prenne un verre dans le coin avant d’y aller, ça me fera plaisir. Essayez juste de m’envoyer un email la veille pour qu’on cordonne.
Maintenant, passons au livre. Comment philosopher en Islam? est censé être un livre d’introduction à la philosophie islamique avec une exposition claire de l’origine et des formes que la pratique philosophique a prise en terre d’islam. Ce qui est bien avec Bachir, et ce livre ne fait pas exception à la règle, c’est qu’il ne jargonne jamais. Il parle un excellent français mais n’emploie que des mots que tout le monde peut comprendre. Dans tout le livre, un seul mot me semble-t-il pourrait poser problème à un non philosophe: c’est le mot éristique! Ce qui ne veut pas nécessairement dire que le livre est facile à lire: il y a des développements où il faut un peu se concentrer mais ce n’est pas de la difficulté pour se faire mousser, c’est juste ce qu’exige l’exposition. Toujours sur le plan formel, le livre s’accompagne d’un dossier iconographique (pp. 178-231) avec en annexe certains extraits des textes évoqués et quelques photos.
Venons-en à présent au contenu du livre. SBD montre que la mort du prophète Mahomet et le fait qu’avant de mourir il n’ait pas laissé d’instructions claires sur la personne qui devait diriger la communauté des croyants et qui de ce fait serait en charge de définir l’orthodoxie a plongé les musulmans dans une sorte d’inquiétude que l’on peut à bon droit qualifier de philosophique. Personnellement je pense que cette entrée en matière est sans doute l’aspect le plus important du livre. L’un des problèmes que j’ai toujours avec mes amis autant musulmans que non musulmans, c’est celui de leur faire comprendre que même si je me considère comme un musulman tout ce qu’il y a d’orthodoxe, je ne me sens absolument pas tenu de suivre les recommandations de telles ou telles autorités religieuses. A la différence du catholicisme par exemple, il n’y a pas vraiment de clergé en islam et tout croyant doit en principe faire le travail d’interprétation et décider dans sa vie quotidienne de sa manière de vivre sa foi. Quand par exemple, le ministère français de l’intérieur met en place un Conseil Français du Culte Musulman, il ne viole pas seulement la laïcité de la France, il traduit une fondamentale méconnaissance de l’islam en croyant qu’il doit nécessairement y avoir un clergé dans une religion et que ce clergé a pour but d’éduquer les âmes. Il y a en islam des savants mais ces savants sont, de mon point de vue, plus proches du prof d’université que du Pape. Ils font de la recherche et la mettent à la disposition du public; libre à ce public de s’approprier ce savoir ou non. Étant donné que c’est ainsi que je vois la religion musulmane, il ne vous surprendra pas que je considère qu’une vie philosophique (i.e. perpétuellement soumise à l’examen critique selon Platon) me paraît le corollaire de cette foi. J’ai donc adoré que Bachir commence son livre en soutenant que la question pertinente n’est pas « Comment philosopher en islam? » mais « Comment ne pas philosopher en Islam? ». Je suis totalement d’accord avec ce renversement.
Une fois ce renversement effectué, SBD continue plus classement en retraçant la rencontre entre la tradition intellectuelle musulmane et la philosophie grecque grâce au Khalife Al Ma’mun, puis en explorant un certain nombre de questions théologiques ou politiques qui ont été posées au cours du temps dans les sociétés musulmanes. Comment une langue vernaculaire devient-elle philosophique? La liberté humaine est-elle compatible avec l’omnipotence et l’omniscience divines? Peut-on penser la tolérance de l’intérieur d’une religion?
Le livre part du VIIe siècle à la période contemporaine et je suis assez heureux que Bachir termine avec un soufi d’Afrique noire en la personne de Thierno Bocar. Avant cela, le livre parle également des réformistes de la fin du 19e et du début du 20e siècle (Al Afghani, Mohamed Abdu, Iqbal, Ameer Ali) qui, face à la déliquescence des sociétés musulmanes préconisaient un retour à l’esprit et non à la lettre du Coran. Ils partagent tous cette idée selon laquelle la vraie religion est nécessairement informée des sciences contemporaines et que les progrès que nous faisons dans les sciences profanes nous permettent de mieux comprendre le Coran. Selon eux, cette parole prophétique selon laquelle le savoir est le trésor perdu du croyant qu’il faut se ré-approprier signifie véritablement que le musulman se doit d’essayer de comprendre ce que la mécanique quantique ou la théorie de l’évolution par exemple signifient pour sa pratique religieuse et qu’il lui est impossible de prétendre répéter à l’identique ce que faisait le prophète. C’est parce que les sociétés musulmanes ont, à un moment de leur histoire, décidé de »fermer les portes de l’interprétation » et ont bridé la créativité de leurs peuples qu’elles sont objectivement en retard. Si elles veulent retrouver la place qui avait été la leur dans la marche du monde, il leur faut impérativement se réformer pensent les modernistes.
Globalement, ayant eu la chance de suivre les cours de philo islamique de Bachir à Dakar, je connaissais beaucoup de choses qui se trouvent dans ce livre malgré tout, j’ai quand même appris pas mal de choses. En particulier, je ne connaissais pas du tout la philosophie écologique de Ibn Tufayl. Cependant, j’ai beaucoup aimé lire ce livre et même pour les auteurs que j’avais personnellement lu comme Ibn Rushd ou Ghazali, c’était instructif de voir la manière dont SBD les introduit et expose l’essentiel de leur théorie.
J’espère que vous lirez le livre et si vous venez jeudi, faites-moi donc signe!
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[1] Comme tout le monde, quand je parle de Souleymane Bachir Diagne, je l’appelle Bachir mais dans la vie, je le vouvoie et lui donne du Monsieur!
Article original publié le 23/11/08 ici
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