Quelqu’un a-t-il jamais lu »l’ordre sensoriel » de Hayek?

����������� Aujourd’hui, je vais vous raconter quelque chose qui m’est arrivé il y a un certain temps déjà mais que je trouve un peu drôle et finalement assez éclairant sur les moeurs universitaires.
����������� C’était en 2003, j’avais écrit un papier dans lequel je m’intéressais à la théorie néolibérale et aux conséquences de son application sur les marchés financiers. Étant presque totalement incompétent en économie, mon angle d’attaque était le suivant:
- revenir aux sources théoriques du néolibéralisme, en dégager les principes et surtout le background épistémologique (parce que ça je sais faire, on ne peut pas être incompétent partout n’est-ce pas?!)
- Confronter cette théorie au fonctionnement des marchés financiers et montrer aux maîtres du monde que leur prétendue bible ne décrit même pas la réalité qu’elle prétend modéliser (OK, aucun vrai croyant ne s’est jamais laissé toucher par des arguments aussi bassement rationnels mais bon, je suis un indécrottable optimiste et de toute manière là n’est certainement pas la question. Où alors? Ben!!! Heu!!! Je sais pas moi!)
- Essayer de comprendre pourquoi ça ne marche pas en m’aidant des approches fractales et cognitivo-évolutionnaires de l’économie.
����������� Parler d’épistémologie, de mathématiques fractales, de théorie de l’évolution et de sciences co dans un même papier, faut dire tout de suite que j’adorais!
����������� Comme théoricien néolibéral typique, j’avais pris rien moins que Son Excellence Friedrich Von Hayek Himself, Prix Nobel d’économie et tout. Pour ceux que les titres n’impressionnent nullement, Hayek c’est le type qui soutient très sérieusement qu’il ne faut surtout pas aider les pauvres ou les chômeurs parce que ce faisant nous faussons l’équilibre d’un système économique qui, laissé à lui-même, se stabiliserait en maximisant l’intérêt général. Cela semble assez Panglossien (souvenez-vous: Pangloss, le maître Leibnizien de Candide dont la maxime était : «�Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes�»), mais le pire c’est que je n’exagère presque pas sa position (OK, un peu pour le fun mais pas plus.) J’avais donc pris Hayek comme repoussoir et avais consciencieusement lu ses textes pour bien m’assurer de ne pas travestir sa pensée.
����������� Assez fier de moi, j’avais présenté une ou deux fois mon papier devant d’autres� étudiants et profs pour recevoir des critiques et l’améliorer avant de passer à autre chose. Et à chaque fois le même� conseil revenait: «�Vous devriez vraiment lire »L’ordre sensoriel » de Hayek, c’est dans ce livre qu’il expose les fondements de sa théorie économique.�» Bon garçon et chercheur dévoué, je pris note de cette remarque en priant de n’avoir pas fait de contresens sur la pensée du Grand Homme du fait de mon ignorance cette oeuvre majeure (Ca t’apprendra à parler de choses qui te regardent pas, t’avais qu’à écrire de la vraie philo, me gourmandais-je illico). Quelques mois plus tard, j’eus enfin l’occasion de lire ce livre (à Beaubourg pour les parisiens que ça intéresse.) et là quelle ne fut ma surprise de voir que ce livre était certes génial, mais traitait de … psychologie! En fait Hayek avait toujours eu tout au long de sa longue vie un intérêt marqué pour les mécanismes cognitifs humains et vers la fin de sa vie s’était décidé à mettre sur le papier ses intuitions, informations et spéculations. Ce livre est absolument� génial parce que Hayek y invente carrément ou y redécouvre parfois des théories ou des� lois psychologiques (si je me souviens bien, la loi de Hebb entre autres et le connexionnisme.) Le seul problème c’est que le lien entre ces théories psychologiques et le libéralisme de Hayek me paraissait et me paraît toujours pour le moins ténu! De plus, aucune des personnes qui me conseillaient si doctement de me pencher sur l’ordre sensoriel (et même parfois The sensory order, l’anglais c’est quand même plus classe!) n’avait pris la peine de me préciser que le livre traitait de psychologie. Étant donné que c’est quand même là un détail important et que l’on remarque presque immédiatement, une petite voix dans ma tête soulève parfois cette question: l’une de ces personnes a-t-elle jamais lu ce livre qu’elles me conseillaient tellement sans jamais préciser qu’elles ne l’avaient même jamais feuilleté? Bien sûr j’étouffe toujours cette voix impertinente parce que si on ne peut plus faire confiance à ses profs, où irait donc le monde?!!!���
2 comments