Hady Ba's weblog

Talibés

Posted in Sénégal by hadyba on mars 7, 2013

Dans l’Aventure Ambiguë, Cheikh Hamidou Kane a de très belles pages sur les talibés. Traditionnellement au Sénégal, les parents confiaient leurs enfants à des érudits pour qu’ils leur apprennent d’abord à mémoriser le Coran puis, au fur et à mesure qu’ils grandissent, les sciences religieuses. Durant les premières années de cet apprentissage, ces enfants ne sont pas nourris par le marabout auquel ils sont confiés mais par la communauté toute entière. Chacun de ces enfants a une écuelle et, trois fois par jour, ces élèves qui sont appelés talibés (oui, c’est la même racine arabe que taliban J) font le tour des maisons de la ville ou du village et reçoivent des poignées de nourritures qu’ils recueillent dans ces écuelles et mangent. À propos de cette tradition de mendicité infantile, Cheikh Hamidou Kane affirme qu’elle avait des vertus profondément démocratiques et égalisatrices. Tout homme, qu’il soit d’extraction patricienne ou prolétaire, a –pendant un temps assez long– vécu de la charité publique, mangé le mélange proprement repoussant de tout ce qui s’est mangé dans la communauté et su exactement comment se nourrissaient ses concitoyens. Cette éducation était faite pour former des hommes stoïques se contentant de ce qu’ils ont, résistant à la faim et indifférents aux plaisirs de ce bas monde. Elle s’inscrivait dans une certaine vision du monde et dans un réseau social tel que toute la communauté se sentait responsable des enfants errants. Même s’il semblait que ces derniers vivaient dans des conditions absolument horribles, ces conditions étaient tempérées par le fait que ceux qu’ils croisaient quotidiennement avaient vécu la même chose et avaient dans la plupart des cas des enfants vivant la même chose dans un autre village.

L’Aventure Ambiguë date de 1961 et son caractère poignant est en grande part du au fait que Cheikh Hamidou Kane y décrivait une civilisation qui se savait confusément à son crépuscule. Au cœur du roman, il y a la question de l’école occidentale dont les villageois débattaient de la menace qu’elle faisait courir aux traditions et pratiques locales. 52 ans après la publication de cette méditation nostalgique, le système d’éducation traditionnel sénégalais a été perverti au delà de l’imaginable. On ne peut qualifier ce qui se passe actuellement au Sénégal autrement que d’esclavage infantile. Où que vous alliez au Sénégal, dans n’importe quelle ville, à n’importe quelle heure du jour et jusqu’à une heure très avancée de la nuit parfois, des enfants de moins de treize ans vous interpellent avec un pot de tomate vide et vous demandent la charité au nom de Dieu. Si traditionnellement les talibés ne mendiaient que ce qui était nécessaire à leur subsistance et passaient le plus clair de leur temps à étudier, nous savons tous que ce n’est plus le cas. Nous voyons tous trainer dans les rues des garçons incapables de réciter la moindre sourate du Coran et nous demandant, non pas de la nourriture mais de l’argent. Nous savons tous que ces garçons n’apprennent absolument rien mais sont exploités par des soi-disant marabouts qui exigent qu’aucun des gamins dont il a la charge ne rentre à la maison avant d’avoir réuni une somme fixée à l’avance. Nous nous doutons que certains de ces enfants sont soit vendus par leurs parents, soit enlevés par les marabouts. Nous ne faisons cependant rien. La société sénégalaise fait comme si la vision du monde qui justifiait la mendicité des talibés était toujours pertinente pour le mode de vie qui est à présent le nôtre. De temps à autres, nos politiciens décrètent la fin de la mendicité infantile. De temps à autres une ONG plus ou moins véreuse capte des financements pour sortir les talibés de la rue.

Cette semaine, un des taudis où un soi-disant maître d’école coranique entassait ses esclaves a pris feu et neuf des dix garçons qui dormaient dans une des chambres sont morts dans d’atroces souffrances. Nos politiciens, Président de la République en tête se sont déplacés. Notre ministre de l’intérieur, qui est pourtant un ancien officier de gendarmerie, s’est montré aux caméras submergé par l’émotion et incapable de s’exprimer. Notre Président a décrété que nous sortirions les enfants de la rue et régulerions le lucratif secteur de l’esclavage infantile les écoles coraniques. Mais déjà, de prétendus enseignants commencent à se faire entendre dans notre presse. Ils pensent que la décision de notre Président est hâtive et l’absence de consultation préalable fautive. C’est vrai qu’on ne parle que d’enfants qui meurent. Quel besoin y a-t-il de se hâter de sauver des vies d’enfants ? Que valent de telles vies face à leurs intérêts économiques ?

Le Sénégal étant le Sénégal, il y a fort à parier que la fermeté de notre Président durera ce que durent nos velléités réformatrices… le temps d’une rose.

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4 Réponses

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  1. […] Hady Ba [fr] explains, on his blog, what being a talibé [fr] entails: […]

  2. […] blog του ο Hady Ba μας εξηγεί τi είναι ένας talibé […]

  3. olga said, on avril 22, 2013 at 8:31

    Très intéressant Hady ! Merci de m’avoir envoyé l’info !

  4. Talibés redux | Hady Ba's weblog said, on février 24, 2016 at 3:01

    […] déjà parlé ici des talibés. Quand ces enfants ne meurent pas dans des accidents, ils sont régulièrement tués par les […]


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