Hady Ba's weblog

Sonko, plutôt Criton que Socrate

Posted in Sénégal by hadyba on juin 7, 2023

Depuis la condamnation de l’opposant Ousmane Sonko, tous les demi-habiles évoquent la figure de Socrate et L’Apologie. Ce dialogue se termine effectivement par la condamnation de Socrate pour un délit superficiellement similaire, parce que portant le même nom que celui pour lequel le juge a condamné M. Sonko. Un autre dialogue mettant en scène Socrate est cependant pertinent ici: c’est le Criton. Nous y reviendrons à la fin de notre propos.

Mais évacuons d’abord une évidence.

Macky Sall a-t-il le droit de présenter sa candidature pour l’élection présidentielle  de 2024 ? On peut comprendre cette question de manière juridique ou de manière morale. Ce n’est de toute manière absolument pas une question de droit. C’est une question morale. Moralement, le contrat que Macky Sall a passé avec le peuple sénégalais, c’est qu’il s’assurerait que nul ne pourrait désormais faire plus de deux mandats. C’est ce qui est écrit dans notre Constitution révisée, c’est ce qui était dans notre Constitution avant sa révision. Aucune élucubration juridique ne rendra jamais licite une candidature de Macky Sall en 2024.

Une fois qu’on a dit ça, on devrait avoir l’honnêteté de pointer une autre évidence. En République, nul ne peut prétexter quoi que ce soit pour se soustraire à la justice. Ultimement, tout citoyen convoqué par l’autorité judiciaire doit répondre à cette dernière. Peu importe qu’il l’estime corrompue, instrumentalisée ou partiale.

Une dame a accusé un homme de viol. Cette dame existe. Elle se nomme Adji Sarr. L’homme existe, il se nomme Ousmane Sonko. L’homme a lui-même reconnu s’être retrouvé enfermé dans la même pièce que la dame. Il ne nous appartient pas de décider a priori que cette accusation est fallacieuse. C’est à la justice de trancher. De la même manière que toute personne honnête reconnaîtra qu’il est immoral et probablement illégal pour le président Macky Sall de briguer un troisième mandat, toute personne honnête doit dire sans fards que, quelque corrompue et instrumentalisée que soit notre justice, Ousmane Sonko ne peut pas s’y dérober. Il a l’obligation légale de se rendre disponible à la justice de son pays.

Au-delà de cette obligation légale, Ousmane Sonko, qui aspire à diriger la République du Sénégal, doit avoir un comportement républicain. Moralement, il ne lui est pas permis de jeter le discrédit sur les institutions qu’il aspire à diriger et/ou dont il aspire à devenir le garant du bon fonctionnement. Or, depuis qu’il a été accusé de viol par une de ses concitoyennes, M. Sonko a systématiquement montré de la défiance envers les institutions de la République intervenant statutairement dans le processus. Il a nommément désigné des magistrats, des policiers et des fonctionnaires et les a accusés d’être de mèche avec le chef de l’État dans une entreprise visant à l’empêcher de devenir lui-même président de la République.

Supposons que M. Sonko ait raison. Supposons que le président Macky Sall, la magistrature, la police et la gendarmerie sénégalaises aient tous comploté pour jeter M. Sonko en prison. N’y a-t-il personne dans son parti, personne parmi ses alliés, personne dans la société civile qui soit suffisamment honnête et compétent pour prendre sa place ?

Parce que, même s’il a raison, même s’il y a un complot d’État pour lui nuire, il n’en demeure pas moins vraie une chose : une femme accuse M. Sonko de viol et M. Sonko lui-même reconnaît qu’il s’est trouvé enfermé dans une pièce avec cette dame. Cette dame existe. Elle se nomme Adji Sarr. Elle a un récit très précis de ce que, selon elle, M. Sonko lui a fait subir. L’on a réussi, pendant deux ans, à déshumaniser cette dame. M. Sonko s’est permis de dire :

“Même si je devais violer quelqu’un, je ne violerais pas cette femme qui ressemble à une guenon atteinte d’AVC.” (AVC, accident vasculaire cérébral.)

Ce sont là exactement les paroles proférées par un homme qui aspire à diriger le Sénégal. Que ces paroles-là ne suffisent pas à le disqualifier définitivement dans un pays à majorité noir montre à quel point nous sommes une société misogyne. Traiter une femme noire de guenon et se faire acclamer par des mâles noirs. C’est l’illustration presque parfaite du misogynoir: cette oppression à l’intersection du sexisme et du racisme théorisée par la féministe Moya Bailey. Utiliser une maladie, l’AVC, comme disqualification, c’est aussi flirter avec le capacitisme.

Faire tout cela et se faire défendre sans réserve par des intellectuels. Appeler à l’insurrection. Demander à des jeunes de sortir dans la rue et de se battre contre les forces de l’ordre. Envoyer ses troupes brûler une université. Et se faire applaudir, soutenir, approuver par des écrivains et des professeurs d’université.

Des écrivains, professeurs, homme de culture affiliés à un parti qui appelle à une révolution qu’ils veulent populaire mais qui ne dénoncent ni ne déplorent la destruction d’une vénérable université qui sert en majorité les enfants des classes sociales les plus défavorisées. Tel est le triste état de notre pays.

La phrase de Sonko à l’endroit de son accusatrice est intéressante : “Même si je devais violer quelqu’un, je ne violerais pas cette femme qui ressemble à une guenon atteinte d’AVC.” N’est-ce pas là une phrase de violeur?

 Si je vous accusais de pédophilie, me diriez-vous : “Même si je devais violer un enfant, j’en choisirais un de plus mignon que celui-ci” ? Bien sûr que non. Pour quiconque n’est pas un pédophile, il est inenvisageable de violer un enfant. Pour quelqu’un qui n’est pas un violeur, il est inenvisageable de violer une femme, aussi belle soit-elle. M. Sonko, lui, peut parfaitement envisager en public de violer une femme, il se défend juste en nous disant que ce n’est pas une femme comme Adji Sarr qu’il violerait.

La question est donc : M. Sonko dit-il la vérité quand il nous dit que ce n’est pas une dame pareille qu’il violerait ? La dame affirme qu’il l’a violée. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’effectivité du viol. Le juge a estimé, quant à lui, que M. Sonko n’a pas violé Adji Sarr mais qu’il en a fait son objet sexuel d’une manière répréhensible. Des intellectuels, des universitaires, des politiques, nous appellent, parce que M. Sonko a été condamné, à manifester, à déloger du Palais le président élu, etc. Des enfants meurent sous les balles de policiers et de nervis. Tout cela parce que quelqu’un en qui beaucoup d’entre nous avaient placé leurs espoirs s’est mis en situation d’être accusé de viol et affirme qu’il est le seul à pouvoir nous sauver d’une prétendue dictature de Macky Sall. Sur 16 millions de Sénégalais, il y en aurait un seul qui serait capable de nous sauver de la dictature ! Sauf que notre sauveur potentiel est accusé de viol par une dame qui se nomme Adji Sarr. Sauf que ce sauveur espéré a été condamné pour corruption de jeunesse par un juge assermenté.

Revenons au Criton.

Après la condamnation à mort de Socrate, un de ses riches amis, Criton vient le voir en lui disant qu’il a affrété un bateau pour le conduire hors de la Cité. Criton et Socrate conviennent que la condamnation est injuste. Socrate aurait donc le droit de s’en soustraire, affirme Criton, et il lui en donne les moyens. Dans le dialogue, Socrate argumente pour la thèse selon laquelle, même si la peine est injuste, étant donné que c’est un tribunal normalement constitué qui l’a prononcée et que les lois de la Cité ont été appliquées par ceux qui en avaient les prérogatives, alors Socrate a l’obligation de s’y soumettre. Refuser de se soumettre à une loi, dit Socrate, c’est les violer toutes. Refuser de se soumettre à un jugement, c’est remettre en cause le système judiciaire dans son intégralité. Le citoyen Ousmane Sonko aspire à devenir président de la République du Sénégal, mais refuse de se soumettre à un tribunal de la République du Sénégal. Si jamais il devient président de la République du Sénégal, pourquoi accepterait-il de se soumettre aux lois qui lui déplaisent ?

Sans même arriver jusque-là, comment pourrait-il, s’il était élu, prêter serment devant les juges qu’il a discrédités ? C’est le même système judiciaire dont il refuse actuellement le verdict qui serait chargé de valider son élection.

Macky, Sonko et l’hubris

Posted in Politique, Sénégal by hadyba on mars 9, 2021
Photo de Leo Correa

Les grecs avaient cette idée le signe le plus implacable qu’un humain court à sa perte, c’est qu’il tombe dans l’hubris. Cette dernière est la forme extrême d’arrogance, la démesure qui fait que l’on s’égale aux dieux et s’attribue les pouvoirs qui ne sont pas les nôtres, singulièrement ceux d’une divinité. Ce faisant, l’humain destiné à se perdre déclenche la furie de Némésis, déesse du châtiment qui vient rééquilibrer l’univers en réduisant violemment l’arrogant à de justes proportions.

Le 31 décembre 2020, le Président Macky Sall a laissé éclater son hubris à la face du peuple sénégalais. Satisfait de ses réalisations et plus encore du contrôle absolu qu’il avait sur le pays, ayant éliminé la plupart de ses opposants, géré correctement la pandémie et domestiqué les syndicats, il se laissa aller à confier aux journalistes que la justice, c’était lui. Ces histoires d’indépendance de la justice, c’est bien joli, mais c’est bien lui qui signe les nominations des magistrats, nous dit-il et il s’attendait à ce que les magistrats lui obéissent dans les dossiers délicats.

Si cette manifestation ouverte de la présidence impériale de Macky Sall avait choqué tout le Sénégal, la vérité, c’est que l’on ne voyait pas vraiment comment y remédier. La magistrature sénégalaise ne semblait toujours pas disposée à prendre son indépendance. Les syndicats et société civile n’arrivaient absolument pas à faire entendre raison à Macky Sall. Sa famille et ses affidés continuaient à faire preuve de la même extrême arrogance, du même mépris pour les lois et la population que leur maitre.

Début février, l’opinion apprenait que la même justice qui avait, avant les élections présidentielles, éliminé celui qui était perçu comme le principal opposant au Président, ouvrait une enquête sur l’actuel principal opposant au président, M. Ousmane Sonko. Ce dernier, non seulement fréquentait un lieu pour le moins peu recommandable, mais en plus était accusé de viols multiples sur une des masseuses officiant dans cet établissement.  Si les gens étaient généralement choqués que notre principal opposant, qui jusqu’ici était perçu comme un musulman rigoriste et austère, fréquente ce type d’établissements ; peu prenaient au sérieux les accusations de viol. La réaction de Sonko fut directe et offensive : il avait certes fréquenté cet endroit mais était victime d’un complot ourdi au plus haut sommet de l’État par Macky Sall lui-même et il vendrait chèrement sa peau.

Après un psychodrame de trois semaines que je vous épargnerai, l’immunité de Sonko fut levée par un parlement aux ordres et le Préfet de Dakar lui-même, accompagné de la force publique, fit obstruction au déplacement de Sonko vers le palais de justice en essayant de lui imposer un itinéraire puis l’arrêta pour trouble à l’ordre public.

C’est alors que Némésis entra en scène et déchaina l’enfer sur le Sénégal tout entier. Le pays connut les manifestations les plus violentes et les plus généralisées depuis au moins deux décennies. En quelques jours, des groupes de jeunes et de moins jeunes prirent d’assaut le pays, pillèrent les magasins Auchan, les stations service Total mais également d’autres commerces tenus par des sénégalais. La jeunesse éduquée prit d’assaut les réseaux sociaux, informa le monde sous le hashtag #FreeSenegal et mobilisa les stars du web.

En quelques jours, nous avons eu presque autant de morts que tout le processus quasi insurrectionnel qui a mené en 2012 au remplacement de Abdoulaye Wade par Macky Sall. Si mes comptes sont exacts, nous en sommes actuellement à 10 morts là où tout le processus antérieur en a fait 12.

Les choses se sont dénouées entre le 5 et le 8 mars. Le 5, on a eu droit à un discours martial du ministre de l’intérieur, l’ancien procureur en charge de l’élimination des opposants au Président Macky Sall. Non content de traiter les manifestants de terroristes et de voir à l’œuvre des « forces occultes identifiées », il réussit la prouesse de faire un réquisitoire sans concession et rempli de menaces mais n’adressant absolument pas les questions légitimes que les citoyens étaient en droit de se poser :

  • Il était affirmé que son épouse avait coaché la plaignante, accréditant ainsi la thèse du complot d’État. Qu’en était-il ?
  • La plaignante avait été transportée par un proche du pouvoir en probable violation du couvre-feu après le présumé viol. Quelle était la justification de cette implication ?
  • Le jour où il s’exprimait, un jeune non-manifestant avait été tué par balle. Une enquête était-elle ouverte ?
  • Tout le monde avait vu à la télé des nervis (probablement des lutteurs au chômage) qui battaient des manifestants sans être inquiétés par les forces de l’ordre. Cet usage de supplétifs était-il acceptable dans une république ?

Toutes ces questions furent royalement ignorées par un ministre qui se croyait toujours procureur. Le peuple manifesta donc de plus belle, les morts s’accumulèrent, une gendarmerie fut brulée au fin fond du pays, les forces de l’ordre furent clairement débordées et l’on vit pour la première fois de l’histoire du pays des supplétifs armés de fusils accompagner les forces de l’ordre usant de grenades lacrymogènes. 

(Source twitter. Je ne mets pas le @ pour ne pas mettre en danger la personne)

Le lendemain un politicien ancien opposant publiquement acheté par Macky Sall fit une adresse au peuple dans laquelle il proposa ce que je ne puis qualifier que de pacte de corruption à Ousmane Sonko. Les manifestations continuèrent de plus belle. Dimanche au cœur de la nuit, l’on apprit que le procureur levait une partie des charges retenues contre Ousmane Sonko et libérait ses compagnons.

Le lundi, les manifestations continuèrent, Ousmane Sonko fut libéré et fit un discours (que je trouve excellent) et le Président de la République fit également un discours où il essaya de dire qu’il comprenait la frustration de la jeunesse qui avait menée à ces manifestations, allait rediriger le budget vers le règlement de leurs problèmes économiques et veiller à ce que la justice s’exerce équitablement.

Une chose est sure, les manifestations que nous avons vues dans ce pays ne sont pas seulement dues à une affection pour Ousmane Sonko et une adhésion à son programme de gouvernement. Elles traduisent une profonde misère de la population. À titre d’illustration, voici, selon certains les sandales que portait l’un des jeunes tués dans les manifestations.

Comme en 2012, les sénégalais ont montré que s’ils sont prêts à tolérer un certain niveau de prévarication et d’autoritarisme, il y a des limites à ne pas dépasser avec eux et qu’ils n’accepteront pas l’installation d’une dictature. L’une des questions en toile de fond de cette révolte en effet, au delà du sort de Sonko, est le projet transparent du chef de l’État de briguer illégalement un troisième mandat. Les manifestations de ces derniers jours envoient le signal que, contrairement à ce que certains craignaient, le peuple sénégalais s’opposera avec la dernière énergie à un tel projet. Macky Sall en tiendra-t-il compte ? J’avoue que je ne le crois pas mais espérons que je me trompe.

Depuis le début de cette crise, ma position de principe est que quelque méfiant que l’on soit de la justice, l’on ne peut pas simplement rejeter d’un revers de la main des accusations aussi graves que le viol. Quand la poussière sera retombée, il restera qu’une dame, certes coachée et instrumentalisée par des proches du pouvoir, accuse notre principal opposant de viol. Il demeure également que cet opposant a lui-même reconnu qu’ils se sont tous deux trouvés dans la même pièce. De telles allégations doivent être investiguées. J’ai moi même voté pour cet opposant lors des dernières élections présidentielles. Je pense cependant que si nous devons refonder cette République, cela passe par un traitement égal de tous les citoyens. Le citoyen Sonko a été accusé de viol par une citoyenne. De deux choses l’une. Soit il est coupable et alors sa place est en prison. Soit il est innocent et dans ce cas, l’enquête doit démanteler le complot qui a mené à tous ces morts. Aucune autre solution n’est acceptable. Malheureusement, hier déjà des députés proposaient une sorte d’accord mafieux dans lequel l’Assemblée nationale empêcherait la justice de poursuivre l’enquête sur ces allégations. Ce serait là une décision catastrophique parce que cela perpétuerait cette tradition patriarcale trop commune selon laquelle les femmes sont quantité négligeable dans le cours de l’histoire.

Il est indéniable que la justice sénégalaise, qui est légalement indépendante, refuse de prendre son indépendance. Quelle que soit la décision qu’elle prendra dans cette affaire, il sera dit qu’elle est complaisante. C’est là que le discours du Président de la République est particulièrement décevant. Il a certes affirmé qu’une enquête indépendante aurait lieu mais il n’a pas dit comment il comptait s’y prendre pour que ce soit le cas. Or, c’est lui-même qui nous avait appris le 31 décembre que la justice sénégalaise obéissait à ses ordres. Il me semble que la société civile sénégalaise doit prendre ses responsabilités pour que la sortie de crise se fasse sans sacrifier les droits humains. Pour cela, il faut qu’elle se saisisse de trois questions graves : celle des manifestants tués, celle des supplétifs armés qu’on a vus réprimer les manifestants, et celle du viol. Il faut une enquête indépendante sur ces questions là et que tous ceux qui sont impliqués soient punis afin que plus jamais cela ne se reproduise. Nous l’avons vu, chaque cycle électoral au Sénégal, semble charrier son lot de morts. En 2012, nous en avons eu 12. En 2021, alors que nous ne sommes même pas en année électorale, nous en sommes à 10. Il faut que cela cesse. Et pour que cela cesse, il faut que ceux qui dirigent ce pays sachent que les organisations de la société civile les poursuivront jusque dans les juridictions internationales si nécessaire. De même, pour éviter que ne prolifèrent les nervis armés, il faut que le ministre de l’intérieur actuel soit mis devant ses responsabilités. Comment se fait-il que ses forces de police n’aient pas protégé les manifestants de ces supplétifs ? Last but not least, nous élisons un président, pas un monarque pour en remplacer un autre. D’une personne aspirant au pouvoir, nous ne devons présumer qu’elle ne peut mal faire. Bien au contraire, nous devons l’obliger à adopter les standards légaux et moraux les plus stricts. Les allégations de viol contre Sonko doivent donc être d’autant plus prises au sérieux qu’il pourrait à l’avenir détenir un énorme pouvoir sur les citoyens de ce pays.

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Sur le pseudo État de droit sénégalais et accessoirement l’affaire Sonko

Posted in Politique, Sénégal by hadyba on mars 3, 2021

Mon collègue Oumar Dia et moi-même avons répondu à la réplique du ministre Coulibaly au manifeste des 102 universitaires. Nous pensons qu’effectivement le Sénégal n’est plus un État de droit et que la faute en incombe grandement mais pas totalement à son Maitre Macky Sall. Voici l’article que nous avons envoyé à la presse sénégalaise.

Monsieur le Ministre Coulibaly, Le Sénégal n’est effectivement plus un État de Droit ! Réponse à Monsieur Abdou Latif Coulibaly

Par Dr. Oumar Dia et Dr. Hady Ba,

Maîtres de Conférences titulaires de Philosophie à l’Université Cheikh Anta Diop.

Le mardi 23 février 2021, cent deux (102) universitaires de plusieurs universités publiques faisaient paraître dans différents organes de la presse un manifeste portant sur ce qu’ils ont ensemble identifié comme étant une crise profonde de l’Etat de droit au Sénégal. Après avoir rappelé formellement ce qu’est un Etat de droit, nous avons tenu à ajouter que celui-ci n’est toutefois tel que si les pratiques qui y ont cours sont conformes aux principes généraux qui le définissent. Etant donné que parmi les principes généraux qui définissent l’Etat de droit celui relatif à l’égalité de tous les citoyens devant la loi est le plus essentiel, ces signataires ont tout simplement confronté ce dernier – qui du reste ne peut être effectif que si la justice est indépendante-  à la pratique qui a cours dans notre pays depuis l’arrivée de M. Macky Sall au pouvoir en 2012. De la confrontation de ce principe formel essentiel de l’Etat de droit à l’usage qui en est fait concrètement depuis 2012 est sorti un verdict sans appel que les universitaires ayant signé la tribune ont tenu à assumer publiquement : l’Etat de droit au Sénégal est en déliquescence principalement du fait de l’asservissement du pouvoir judiciaire au pouvoir exécutif et particulièrement à la personne du président de la République M. Macky Sall.

Piqué au vif par ce verdict dont les signataires estimaient que leur responsabilité d’universitaires les obligeait à rendre public ; mais peut-être davantage préoccupé par les ravages que celui-ci est susceptible de produire sur l’image du pouvoir et du président qu’il sert depuis 2012, M. Abdou Latif Coulibaly s’est précipitamment hasardé à répondre jeudi 25 février 2021 en niant contre l’évidence la réalité de la crise sans précédent de l’Etat de droit au Sénégal. Dans sa vertueuse jeunesse, M. le Ministre Coulibaly a sans doute fréquenté les marxistes. Sacrifions donc à un rituel propre à cette mouvance. D’où parlons-nous ? Nous sommes deux universitaires dont l’un avait émis des réserves sur le manifeste de ses collègues et ne l’avait pas signé alors que l’autre l’avait signé. Nous sommes tous deux philosophes travaillant sur les questions d’État de droit et impliqués dans les affaires de la Cité et nous estimons tous deux que l’État de droit est effectivement en déliquescence au Sénégal depuis 2012 et nous proposons de l’illustrer factuellement en guise de réponse à M. le ministre Coulibaly.

Avant de revenir sur la fautive et hasardeuse réponse de Monsieur le Ministre au manifeste, nous tenons d’abord à rappeler à son intention ce que recouvre une bonne définition du concept d’Etat de droit.

Là où Monsieur le ministre Abdou Latif Coulibaly le définit à travers cinq (05) blocs qu’il n’a même pas la rigueur d’énumérer ; n’importe quel cours introductif destiné à des étudiants de Licence 1, définirait l’État de droit comme un Etat qui n’est pas fondé – même en partie – sur l’arbitraire d’un individu ou d’un groupe mais uniquement sur le droit. Ce cours citerait sans doute la célèbre formule du juriste Duguit selon laquelle dans un État de droit, « l’État est subordonnée à une règle de droit supérieure à lui-même qu’il ne crée pas et qu’il ne peut pas violer »

Ainsi la puissance publique qui l’incarne n’est-elle, en principe, soumise qu’au seul droit mais y est bel et bien soumise. Ainsi défini, l’Etat de droit exige trois conditions essentielles pour son effectivité : la première est la hiérarchie des règles de droit, la deuxième l’égalité de tous sans exception devant la loi et la troisième la séparation des pouvoirs.

La hiérarchie des règles de droit signifie que chaque norme juridique donnée découle d’un droit qui lui est supérieur. Dans cette articulation des règles de droit, la constitution se présente comme la norme ultime parce que c’est d’elle que découlent les traités internationaux d’abord et ensuite les lois et règlements en vigueur dans le pays. Que nous apprend cette hiérarchie des règles de droit – constitution, traités internationaux et lois et règlements – dans le cas précis du Sénégal ? D’abord que les nombreuses interdictions de manifestations de citoyens depuis 2012 sont illégales et constituent des atteintes graves à la constitution du pays et à l’Etat de droit et ensuite que la condamnation en appel de Khalifa Sall dans le cadre de l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar après la décision de la cour de justice de la CEDEAO annulant le jugement rendu en première instance sur cette affaire est un cas parmi tant d’autres où des magistrats payés par les sénégalais pour rendre la justice en leur nom ont choisi de s’écarter de ce que Monsieur le ministre Coulibaly appelle lui-même dans sa réponse au manifeste la prévisibilité de la loi. La deuxième condition essentielle de l’Etat de droit est celle relative à l’égalité de tous sans exception devant la loi. Cette condition elle-même ne peut être effective que si la justice est indépendante. L’égalité de tous devant la loi implique que les personnes et les organisations sont dépositaires de la personnalité juridique comme personnes physiques pour les premières et comme personnes morales pour les secondes ; l’Etat étant lui-même considéré dans un Etat de droit comme une personne morale susceptible d’être jugée et condamnée. Quant à la troisième et dernière condition essentielle de l’Etat de droit, elle renvoie à la séparation des pouvoirs. Un Etat de droit est nécessairement un Etat où est effectivement réalisée la séparation et l’indépendance des pouvoirs entre eux. L’État de droit s’oppose donc à un système politique dans lequel tous les pouvoirs seraient concentrés entre les mains d’un despote. L’Etat de droit est un Etat au sein duquel le pouvoir est distribué de façon équilibrée entre des organes indépendants et spécialisés. Dans l’Etat de droit, le pouvoir de voter les lois est dévolu au législatif, celui de leur exécution à l’exécutif et enfin celui de rendre la justice au judiciaire.

Ce petit rappel introductif à l’intention de Monsieur le ministre Coulibaly, qui est loin d’avoir un niveau de maîtrise du concept d’Etat de droit équivalent à celui de nos étudiants de première année de droit ou de philosophie, atteste que l’indépendance de la justice constitue la colonne vertébrale de l’Etat de droit. Sans indépendance de la justice, ni la hiérarchie des règles de droit, ni l’égalité des personnes physiques et des personnes morales devant la loi, encore moins la séparation des pouvoirs ne peut être effective. En reprochant donc au manifeste des universitaires d’avoir restreint son diagnostic de la crise de l’Etat de droit au Sénégal à la seule dimension de l’indépendance de la justice, Monsieur le ministre verse dans une forme d’arrogance que ne justifie nullement une quelconque maîtrise de sa part du problème dont on a fait le diagnostic mais qui découlerait plutôt de profils psychologiques de gens grisés par le pouvoir et naturellement prédisposés à servilement se ranger dans le camp des puissants du moment. Ayant délibérément pris le parti de l’arbitraire plutôt que du droit, du vraisemblable plutôt que de la vérité, Monsieur le ministre Coulibaly ne pouvait pas se poser la seule question qui vaille dans ce genre d’exercice : le diagnostic des 102 universitaires est-il ou non corroboré par des faits ? Son esquive de cette incontournable question nous amène à rappeler à son bon souvenir quelques procès d’opposants politiques à Monsieur le Président Sall menés en violation flagrante de leurs droits et qui prouvent à suffisance que la justice n’est pas indépendante au Sénégal depuis 2012.

L’article 28 de notre charte fondamentale stipule que c’est l’indépendance de la justice qui garantit les libertés fondamentales des citoyens. Cela veut dire que c’est elle qui garantit également les libertés académiques qui sont au fondement de l’Université et de notre travail d’universitaires. Sans indépendance de la justice donc, le droit cesse d’être la règle pour faire place à l’arbitraire. C’est ainsi qu’à la prévisibilité de la loi dans l’Etat de droit se substitue celle de l’arbitraire et de la loi du plus fort dans l’Etat despotique. Ce qui introduit une rupture d’égalité entre les citoyens devant la loi. Au Sénégal, cette rupture d’égalité entre les citoyens devant la loi est devenue particulièrement inquiétante depuis 2012 avec le traitement clairement différencié par la justice entre les citoyens appartenant à l’opposition politique démocratique et ceux appartenant aux partis de la coalition au pouvoir.

Accusé en 2013 d’enrichissement illicite, le citoyen Karim Wade, qui allait évidemment devenir un redoutable challenger du Président Macky Sall à l’élection présidentielle suivante, a été attrait devant une juridiction d’exception – la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) – chargée de le mettre hors course et de faciliter la réélection du président en exercice. Si tel n’était pas la mission de la CREI, les fondamentaux de l’Etat de droit auraient prévalu dans son procès et la condamnation de l’Etat du Sénégal par la Commission des droits humains de l’Organisation des Nations Unies (ONU) aurait entrainé ce qui était légalement prévisible dans ce cas à savoir son acquittement et sa relaxe pure et simple.

Après la condamnation suivie de l’exil forcé de Karim Wade, un autre citoyen sénégalais potentiel redoutable adversaire de Macky Sall à l’élection présidentielle de 2019 a été poursuivi en violation flagrante de ses droits, condamné de façon expéditive et mis hors course à la compétition électorale. Soupçonné de détournements de deniers publics dans l’affaire de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, le député Khalifa Sall a été entendu en toute illégalité en l’absence de ses avocats par le maître des poursuites. Condamné en première instance, le citoyen Khalifa Sall a non seulement fait appel de sa condamnation mais a également introduit un recours en annulation auprès de la cour de justice de la CEDEAO. Après examen de son recours – il est important de rappeler que la hiérarchie des règles de droit est le premier fondement de l’Etat de droit -, la cour de justice de la CEDEAO a tout simplement annulé sa condamnation en première instance au motif que son droit à être assisté par son avocat n’avait pas été respecté par le maître des poursuites lors de sa première audition. On s’attendait logiquement -prévisibilité de la loi oblige !- à ce que sa condamnation en première instance soit infirmée par le jugement en appel. D’ailleurs, la procédure en appel avait apparemment commencé à s’inscrire dans le sens de l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO en décidant d’emblée de l’annulation pure et simple de son Procès-Verbal d’audition. Mieux, le Procureur de la Cour d’appel avait même demandé dans son réquisitoire initial à ce que la cour d’appel se conforme à l’arrêt de la cour de justice de la CEDEAO et relaxe le citoyen Khalifa Sall. C’est au moment où on attendait la décision qui allait être rendue la semaine d’après qu’une autre des supposées voix et plume de M. le Président Macky Sall, zélé défenseur de son maître et qui ne compétit dans ce domaine qu’avec le Ministre Abdou Latif Coulibaly a osé sortir un papier à charge pour désavouer publiquement le réquisitoire du Procureur de la République. A la suite de ce désaveu public du maître des poursuites par Monsieur Madiambal Diagne, le Procureur de la République a semblé avoir mystérieusement vu la lumière en changeant tout bonnement par écrit son réquisitoire la veille même de la décision de la cour d’appel. La suite est connue : la condamnation en première instance de Khalifa Sall a été confirmée par la Cour d’appel malgré l’arrêt de la Cour de justice de la CEDEAO et l’annulation de son PV d’audition pour violation de ses droits. Les doutes légitimes sur l’indépendance de la justice dans cette affaire sont d’autant plus légitimes que dans un cas similaire, l’affaire Thione Seck, la justice avait décidé d’annuler toute la procédure au motif que le prévenu avait été entendu en l’absence de son avocat.

Avec l’affaissement de l’Etat de droit et le règne de l’arbitraire au Sénégal depuis 2012, les citoyens sénégalais ont de fait cessé d’être traités de la même façon par leur justice. Il est donc compréhensible que par induction, l’on en conclut que tous ceux qui sont membres de l’opposition politique et démocratique et qui sont perçus à tort ou à raison comme ayant de réelles chances de l’emporter feront nécessairement face non pas à un candidat du parti au pouvoir mais bien à M. Macky Sall suppléé par une justice sorti de son rôle d’arbitre neutre. Il est également compréhensible que par induction, les citoyens sénégalais estiment qu’une candidature du Président sortant Macky Sall à un troisième mandat serait sanctifiée par le Conseil Constitutionnel non pas parce qu’elle serait conforme à notre loi fondamentale, mais parce que la justice sénégalaise a de facto perdu son indépendance.

Parlons à présent de ce que les américains nomment The Elephant in the room, le non dit qui sert de toile de fond aux agitations de M. le ministre et que les universitaires ont évité de mentionner dans le manifeste : l’Affaire Sonko. Les deux auteurs de cet article ont un profond désaccord sur l’analyse à faire de cette affaire mais deux choses nous paraissent indéniables :

  1. Quelles que soient les circonstances, une accusation de viol est une accusation sérieuse qui doit faire l’objet d’une enquête sérieuse.
  2. Il est indéniable que cette affaire a été politisée depuis le début non seulement par l’attitude de l’accusé mais également par l’interférence d’acteurs politiques proches du pouvoir qui ont encadré l’accusatrice.

Nous nous retrouvons donc face à une impasse dont M. Macky Sall, Président de la République, porte une grande responsabilité. En instrumentalisant la justice à des fins électorales, il nous a installé dans une instabilité juridique qui fait que toute décision de la justice sera interprétée non pas comme un acte légal mais comme un acte politique. Ne nous voilons cependant pas la face, la responsabilité n’en incombe pas uniquement au Chef de l’État : le pouvoir judiciaire, au Sénégal est bel et bien un pouvoir. Ce sont les magistrats qui, individuellement sont appelés à prendre leurs responsabilités et à dire le droit sans se soumettre aux injonctions des politiques. Les organisations de la société civile et les citoyens ordinaires doivent quant à eux se mobilier pour protéger non pas une personne mais notre État de droit contre ses contempteurs quels qu’ils soient. S’il est inadmissible que M. Sonko appelle à l’insurrection et refuse de se soumettre aux procédures légales, fussent-elles dévoyées, il est encore plus inadmissible que la justice sénégalaise serve à donner une caution judicaire à la liquidation déjà programmée des adversaires politiques du Président en exercice. C’est ce qui est arrivé à Karim Wade et à Khalifa Sall. Et conformément à la règle du précédent, les sénégalais ont de bonnes raisons de penser que l’affaire Ousmane Sonko n’est rien d’autre qu’une machination du pouvoir destinée, grâce à la complicité de juges de service, à éliminer un adversaire politique. En est-il véritablement ainsi ? C’est à la justice de tenir son rang et d’organiser une instruction irréprochable.

Pour terminer, nous invitons M. le ministre Abdou Latif Coulibaly à cesser de détourner le regard et à examiner en toute honnêteté la situation actuelle de l’Etat de droit dans notre pays. La référence du manifeste des universitaires sénégalais au texte de Cheikh Anta Diop du 18 novembre 1979, loin d’être hors contexte, traduit plutôt un recul d’au moins quatre (04) décennies de l’Etat de droit sous Macky Sall. Nous n’avons cependant aucun espoir que cette invite lui serve, comme le montre le Faust du conte populaire allemand, une fois qu’on a échangé son âme contre les plaisirs sensibles, nul retour n’est possible.

Ousmane Sonko, malgré tout

Posted in Politique, Sénégal by hadyba on février 22, 2019

Macky Sall est un beau gachis. Il a été notre premier président né après les indépendances. Il vient d’un milieu démuni. Il a été en butte à l’arbitraire de Wade et a réussi à le détrôner. Il est relativement jeune. Il aurait pu –il aurait du– être le meilleur président que le Sénégal ait jamais connu. Celui qui redresserait notre pays, reconstruirait notre pacte social en assurant l’équité. Celui qui, parce qu’il est un produit de l’école publique, veillerait à ce que nul enfant de ce pays ne se promène en haillons sur nos routes à mendier quand les enfants des plus nantis sont en classe. Malheureusement, il n’en a rien été. Venu à un moment historique où il aurait pu mettre à la retraite tous les vieux politiciens qui, depuis 40 ans ont systématiquement dévoyé notre patrimoine, il a choisi de s’entourer des plus roués d’entre eux. Il a maintenu en vie le système que les sénégalais avaient clairement rejeté en l’élisant. Il a manqué à sa parole sur la réduction de son mandat. Il a bâclé les procès qu’exigeait le peuple et a dealé avec Karim Wade pour le laisser quitter le pays. Il a instrumentalisé la justice pour enfermer un autre opposant qui aurait pu lui faire de l’ombre. Il a élevé la corruption en mode de gouvernement, protégeant ostensiblement ceux des siens qui avaient été épinglés par les organes de contrôles étatiques. Il a normalisé les conflits d’intérêts en confiant à des membres de sa famille des postes dans lesquels ils contrôlent des ressources étatiques extrêmement importantes et pour lesquels ils sont loin d’être les plus compétents. Alors que durant sa campagne électorale il s’était affiché en protecteur de la laïcité, il a gouverné en s’aplatissant devant les religieux leur montrant ostensiblement qu’il était prêt à partager les ressources de l’État avec eux, à condition qu’ils le soutiennent. Il a par ailleurs systématiquement calomnié ses propres fonctionnaires qui servent loyalement le pays pour des salaires souvent très bas. Il a enfin renforcé la tutelle de la France sur le Sénégal, donnant aux entreprises françaises des contrats faramineux et les payant rubis sur l’ongle là où le privé national est exsangue parce que l’État ne lui paie l’argent qu’il lui doit qu’au compte goutte. D’un point de vue égoïste, Macky Sall m’a été bénéfique, nous les universitaires avons eu une augmentation de salaire sous son règne. Sur le plan de l’intérêt de l’Université sénégalaise, il est catastrophique. Nos étudiants ont vu leurs droits d’inscription multipliés par dix pour un service toujours aussi mauvais. Les créations de postes sont anecdotiques, les universités qui devaient être construites pour faire face à l’augmentation démographique ne l’ont pas été. On a créé une Université Virtuelle du Sénégal pour y parquer des milliers d’étudiants à qui on donne des diplômes sans vraiment les former.

En toute conscience, je ne puis voter pour Macky Sall.

Je ne puis non plus voter ni pour Idrissa Seck, ni pour Madické Niang. L’un et l’autre sont sortis de la même matrice que Macky Sall. Ce sont des enfants de Maitre Abdoulaye Wade. Ils ont tété le lait de la corruption et de l’affairisme. Je serai bien embêté si l’un d’eux se retrouvait au second tour face à Macky Sall mais pour l’instant, le problème ne se pose pas.

Il nous reste alors deux candidats, Issa Sall et Ousmane Sonko.

J’avoue que ce que j’ai lu du programme de Issa Sall ne me convainc pas mais ce n’est pas là l’essentiel. Le parti de Issa Sall est directement issu d’un mouvement religieux. Je suis pour un État laïc et équidistant des confessions. Ce sera difficile voire impossible avec lui. Je ne vais donc pas voter pour lui.

Ne reste plus que Ousmane Sonko. Contrairement à beaucoup, je ne suis pas aveuglément séduit par Sonko. J’avais déjà trouvé ses premières attaques contre Macky Sall, Président de la République, déplacées venant d’un fonctionnaire soumis à un devoir de réserve. Il a été viré de l’Administration d’une manière que je juge illégale. Sonko aurait pu être notre Obama : un président jeune, intelligent et maitrisant les nouveaux médias. Je pense qu’il a le défaut des énarques sénégalais : de gens devenus aisés trop tôt dans un pays pauvres et qui ne valorise pas le débat contradictoire. Du coup, ils ont tendance à ne pas avoir une très grande ouverture d’esprit. Malgré tout, Sonko Président secouerait le système sclérosé qui tue ce pays. Avec lui, une nouvelle génération, qui n’a pas été formaté dans les partis politiques arriverait aux affaires. Ce seront majoritairement des fonctionnaires ayant le sens de l’État. C’est exactement ce qu’il nous faut. Depuis 2000, Wade et sa descendance ont détruit la seule chose qui tenait ce pays debout : la méritocratie républicaine construite par Senghor et qui faisait que les postes étaient occupé par des personnes ayant des qualifications fussent-elles minimales. Depuis Wade, il est devenu concevable de nommer n’importe qui à n’importe quel poste de responsabilité. Avec Sonko, ce ne sera probablement plus possible parce qu’il est porté par une génération qui aspire à la normalisation sur ce plan là. La classe politique sénégalaise ne s’y est pas trompée. Elle a généralement évité de soutenir Sonko, se rabattant sur Idrissa Seck quand elle ne pouvait composer avec Macky Sall. Sonko est donc l’alternative. Il fera ce que Macky Sall aurait du faire : éliminer cette vieille garde parasite qui a mis le pays à genoux et qui continue de le sucer. Nous sommes un pays où 42% de la population a moins de 15 ans mais où un Président de plus de 50 ans s’entoure de vieillards de plus de 65ans et se dispute avec son prédécesseur de plus de 80 ans. Il est temps que ça cesse. Ces reliques du passé doivent partir pour qu’une alternance générationnelle survienne. L’on peut critiquer Sonko sur beaucoup de points. Il est cependant clair qu’il a appartenu à l’une des administrations les plus corrompues de ce pays et qu’il n’a apparemment jamais franchi la ligne jaune. Macky Sall n’aurait pas, une seule seconde, hésité à le mettre en prison s’il avait eu vent de la moindre transaction douteuse. Il a un programme qui met les intérêts du Sénégal en premier. C’est malheureusement proprement révolutionnaire. Il aura contre lui beaucoup de lobbys ; des marabouts aux industriels en passant par la France et les fonctionnaires corrompus qui veulent que tout continue comme avant. Ce sera difficile. Il fera des erreurs. Il n’en demeure pas moins que le pays ne peut faire l’économie de cette phase difficile si nous voulons construire notre propre voie vers le développement. Tout est à reconstruire. Il nous faut une rupture nette et un leadership nouveau pour ce faire. L’une des choses qui me rassure paradoxalement, c’est que je suis loin d’être d’accord avec tout ce que propose Sonko. Il est probable que le lendemain de son élection, je commencerai à le critiquer. C’est sain et important dans une démocratie. Je crois d’ailleurs que s’il était élu, beaucoup de gens de sa génération le critiqueraient sur un point ou un autre. Cela assurerait l’émergence d’une nouvelle classe politique focalisée sur les programmes plutôt que sur les personnes et ce serait bon pour le pays. A contrario, j’ai bien peur que si nous réélisons Macky Sall, nous glissions doucement vers une dictature extrêmement corrompue. Tous ceux qui l’ont rejoint durant cette campagne recevront leur part de la manne pétrolière. Les autres seront impitoyablement réprimés par un président qui, dès son premier mandat, nous a montré qu’il n’a aucun respect pour la justice et les formes de l’État de droit. Nous sommes déjà la risée de l’Afrique avec nos opposants emprisonnés. Dimanche, nous avons le choix entre essayer de construire un avenir vivable pour notre pays ou continuer notre dégringolade vers la dictature. Je vais essayer de construire notre avenir en votant Sonko plutôt que de maintenir un statu quo délétère.

PS: Mon soutien n’a jamais été déterminant pour aucune élection mais j’aime bien ne pas me donner la possibilité de modifier rétrospectivement mes souvenir sur ce que je pensais à un moment donné.