Hady Ba's weblog

Lumières & fascisme

Posted in miscellaneous by hadyba on juillet 26, 2008

Franchement, si à l’élysée se trouve un type qui manifeste un mépris évident pour la Princesse de Clèves et si ce type est conseillé par un autre qui un an après qu’il ait écrit cet infâme discours de Dakar revient pour persister dans ses bêtises, je me demande ce qu’il faut penser de l’état intellectuel de cette France qui est censée être un pays de culture.

Il y a une chose qui me fascine toujours. J’ai lu les oeuvres complètes de Molière avant d’avoir 20 ans. Avant d’arriver à la fac, j’avais également lu tellement de Rousseau, Voltaire, Montesquieu ou Bayle que j’ai été effaré de voir qu’il y avait des gens qui écrivaient des thèses sur ces auteurs dont je croyais sincèrement que tout le monde les avait lu avant d’arriver à la fac et que la recherche devait être réservée à des choses moins évidentes. Ce qui me fascine donc, c’est quand je vois un type, parce qu’il est né en France considérer que l’héritage des Lumières est le sien et non le mien et entreprendre de m’expliquer ce qu’est la démocratie, la tolérance ou le sens de l’histoire en régurgitant une anthropologie du Old School mal digérée. Parce que je fréquente un milieu plutôt intellectuel, ça m’arrive assez souvent. Quand je suis de bonne humeur, j’écoute poliment le gentleman sans rien lui dire. Quand je suis de mauvaise humeur, j’attends qu’il se plante et pour lui expliquer très en détail pourquoi le Contrat Social de Rousseau est un truc dangereux pour la démocratie et Rousseau un fasciste de la pire espèce.

Libé m’apprends que le lumineux M. Guaino a écrit dans le Monde daté de dimanche:

«Revenons un instant sur le passage qui a déchaîné tant de passions et qui dit que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Nulle part il n’est dit que les Africains n’ont pas d’histoire. Tout le monde en a une. Mais le rapport à l’histoire n’est pas le même d’une époque à une autre, d’une civilisation à l’autre», affirme le conseiller de Nicolas Sarkozy.

«Dans les sociétés paysannes, le temps cyclique l’emporte sur le temps linéaire, qui est celui de l’histoire. Dans les sociétés modernes, c’est l’inverse», ajoute-t-il.

«L’homme moderne est angoissé par une histoire dont il est l’acteur et dont il ne connaît pas la suite. Cette conception du temps qui se déploie dans la durée et dans une direction, c’est Rome et le judaïsme qui l’ont expérimentée les premiers. Puis il a fallu des millénaires pour que l’Occident invente l’idéologie du progrès»

Si vous êtes vraiment charitable, vous vous dites que oui, les paysans sont soumis aux saisons. So what? Je vais vous donner un exemple avant de continuer:

l‘homme français de ce début de siècle vit dans un perpétuel recommencement. Jamais il ne s’élance vers le futur et ne pense avec angoisse à la longue période. Ainsi sa vie est-elle rythmée par les soldes d’hiver et d’été, les manifestation d’hiver et du printemps et les vacances d’été. S’il sortait de ce perpétuel recommencement, il se rendrait compte que tant qu’il vivrait dans un système pseudo-démocratique mais réellement ploutocratique, il aurait toujours des raisons objectives de manifester. Il se rendrait également compte que s’il militait réellement pour une meilleure répartition du produit de son travail, il n’aurait pas besoin de soldes pour pouvoir se permettre d’acheter des habits. Et il verrait enfin que s’il avait organisé son habitat de manière optimale, il n’aurait pas besoin de migrer de manière saisonnière. Mais cela, l’homme français ne peut le comprendre parce qu’il n’a pas assez de recul pour se dégager de la perpétuelle répétition du même et voir que cette vie n’est pas une fatalité mais le résultat de l’absence de pensée linéaire du temps. Mais tout cela, il faut être africain pour le voir. C’est la sagesse ancestrale de mon continent qui me permet de dégager les patterns dans lesquels mes amis français sont enfermés.

Voilà, je vous ai construit une stupidité à la Guaino. On peut voir des cycles partout, il suffit juste de choisir la bonne échelle. Si ses conditions socio-économiques font que le paysan africain est soumis à la course des saisons, que peut on en tirer? Cela signifie-t-il que le paysan africain, tout comme le citadin français n’est pas angoissé par son avenir et celui de ses enfants? M. Guaino pourrait-il nous expliquer pourquoi? Pense-t-il que le paysan africain n’a d’autre objectif que de voir ses enfants avoir la même vie que lui? Et surtout quelle est la pertinence de comparer le paysan africain avec l’intellectuel français? Je n’ai pas énormément d’estime pour M. Guano mais si je devais le comparer intellectuellement avec quelqu’un c’est avec nos politiciens corrompus que je le comparerais, pas avec un paysan illettré [1]. Si je dois comparer Edgar Morin, je le comparerais soit avec un prof de fac, soit avec un des fins lettrés qui peuplent des endroits comme Tivaouane ou Saint Louis et qui non seulement étudient le Coran mais également lisent, interprètent et commentent Platon, Aristote, Ibn Rushd, Ghazali et les néoplatoniciens entre deux saisons!

Une autre chose qui est passionnante dans la citation de Guaino est sa valorisation de ce qu’il nomme l’idéologie du progrès. S’il avait été vraiment cultivé, M. Guaino aurait connu un truc qui se nomme le Futurisme. Il aurait également su que l’on peut faire un lien, en tout cas, un certain Walter Benjamin le fait entre l’idéologie du progrès et le fascisme. Mais on ne peut faire de tels liens que quand on est réellement cultivé, pas quand on a lu deux livres d’anthropologie, un poème de Senghor et un peu de Braudel et de Mounier et que l’on croit que cela fait de vous un intellectuel…..

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[1] Ne serait-ce que parce que ce serait insultant pour le paysan d’être comparé à un schmock pareil