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La susceptibilité de Monénembo

Posted in Afrique, immigration by hadyba on janvier 4, 2011

Dans Le Monde, cet article de Thierno Monénembo. écrivain guinéen qui fait le parallèle entre la crise ivoirienne actuelle et les élections qui ont eu lieu dans son pays il y a quelques mois. Lors des élections guinéennes, il est assez probable que le vainqueur proclamé a triché et bénéficié de la complicité du gouvernement de transition. Il a presque failli y avoir en guinée un génocide des peuls, ethnie du second candidat. Tout ceci s’est fait sous les yeux et avec l’approbation tacite de la  »communauté internationale ». L’ONU a quand même validé les élections guinéennes et ne parle pas du tout de commission d’enquête pour juger ceux qui ont tué dans l’entre deux tours.

 

Dans le cas ivoirien, il est manifeste également que Gbagbo a triché et s’est fait proclamer président au mépris de la loi ivoirienne. Problème, dans ce cas-ci, la  »communauté internationale » s’indigne, refuse de le reconnaître et menace de le destituer par la force.

 

Pourquoi une telle différence de traitement? La théorie de Monénembo est que Ouattara et Alpha Condé ont ce point commun de faire partie de l’élite transnationale mondialisée qui dirige le monde et que cette élite impose les dirigeants partout dans le monde, quoi que veuillent les peuples. J’ai eu à peu près la même discussion dimanche avec un compatriote qui tendait à soutenir Gbagbo parce qu’il ne voyait pas pourquoi la communauté internationale se permettait de s’ingérer dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire. L’argument de mon ami était que la soi-disant communauté internationale ayant toujours soutenu des dictateurs et des oppresseurs partout en Afrique et ce que Gbagbo a fait n’ayant rien d’inédit, cette  »communauté » est mal placée pour condamner aussi fortement Gbagbo au risque de déclencher une nouvelle guerre civile. Monenembo résume ce sentiment quand il écrit:

Nous ne contestons pas non plus l’élection d’Alassane Ouattara (nous sommes même convaincus que psychologiquement et techniquement, il est mieux outillé que n’importe lequel de ses concurrents pour gouverner). Nous disons simplement que le rôle de la communauté internationale ne revient pas à prendre des positions partisanes et à se répandre en déclarations intempestives encore moins dans une situation aussi explosive que celle de la Côte d’Ivoire.1 Pourquoi le défi et la menace du canon là où la discrétion, la ruse, la prudence et le tact bref, l’art de la diplomatie, auraient suffi ?

Il écrit plus loin:

Se seraient-ils comportés ainsi s’il s’était agi de l’Iran, de la Birmanie ou de la Chine ?

Si nous laissons de coté le ressentiment de Monénembo face à la tiédeur de la réaction de la communauté internationale lors de l’entre deux tours guinéen et si nous sommes assez charitables pour ne pas tenir compte du fait de dire qu’une élite transnationale déciderait des élections en Afrique, ce qui reste de l’article c’est ce sentiment partagé par beaucoup d’africains que nos pays sont traités par le mépris et que les opérations dites de maintien de la paix sont des formes de re-colonisations destinées à piller nos ressources naturelles. Seulement, je pense que sa fierté mal placée aveugle Monénembo, pour lequel j’ai par ailleurs beaucoup de respect.

 

Considérez son interpellation: « Se seraient-ils comportés ainsi s’il s’était agi de l’Iran, de la Birmanie ou de la Chine ? » La réponse évidente est « Non! ». Seulement, au delà de cette évidence, une réponse plus détaillée s’impose. La communauté internationale, pour autant qu’elle existe, traite différemment des pays différents. Ces trois pays en particulier ont été en fait traité très différemment. L’onu discute de manière très dure avec l’Iran pour lui interdire2 de développer son programme nucléaire. L’onu condamne la Birmanie mais ne fait pas grand chose de plus. L’onu ne pipe et ne pipera mot quoi que fassent les chinois. Sarkozy fait de la lèche à Hu Jintao, joue les bravaches avec Ahmadinéjad et fait semblant d’ignorer que Total a des contrats en Birmanie. Ce qui est valable pour ces trois pays est valable pour les pays d’Afrique. C’est en fonction d’un consensus dépendant en grande partie des intérêts des pays riches que l’onu agit et se prononce. Bongo Jr peut bien tricher aux élections, personne ne dira rien. Wade peut être supérieurement corrompu, tant qu’il préserve la stabilité du Sénégal, on évitera de lui faire des remontrances en public etc…

Ce qu’il y a de particulier dans la situation actuelle de la Cote d’Ivoire, c’est que pour une fois, il y a deux candidats qui sont également compatibles avec les intérêts français. Gbagbo a beau jouer les indépendantistes francophobes, il n’en a pas moins gouverné en attribuant de juteux marchés aux magnats du business français. Ouattara, si jamais il arrive au pouvoir ne remettra certainement pas en cause ces contrats. Donc les intérêts objectifs de la France sont assurés qu’elle que soit l’issue de cette élection.

 

Gbagbo a eu la stupidité non seulement de tricher mais de ne pas le faire en amont attendant le jour de la proclamation pour intimider en direct à la télévision les responsables de l’institution charger de proclamer les résultats. Une fois cela fait, et étant entendu que Gbagbo n’était pas vital pour les intérêts des grandes puissances, le moins que ces dernières pouvaient faire pour ne pas totalement décrédibiliser l’idée même de communauté internationale était de le condamner et de ne pas valider une manoeuvre aussi grossière. Ce qu’elles ont fait. Il se trouve que les forces de l’onu et les forces françaises se trouvent déjà en Côte d’Ivoire. Si elles ne s’étaient pas limité à un service minimum, ces forces auraient pu déposer directement Gbagbo sans coup férir. Au lieu de ça, elles laissent ses escadrons de la mort sortir la nuit et tuer des opposants. Malgré tout, un Monénembo aveuglé par le ressentiment titre dans Le Monde que « L’ONU recolonise l’Afrique »!

 

Plutôt que de se laisser aveugler par une susceptibilité mal placée, je pense que la seule question que nous devons nous poser, en tant qu’intellectuels est celle de savoir pour qui les ivoiriens ont voté. Une appréciation objective de ce qui s’est passé force, me semble-t-il, à conclure que c’est pour Ouattara. Si tel est le cas, ce dernier est le Président légitime de la Cote d’Ivoire et toute aide pour que le voeu de ses concitoyens soit respecté est a priori la bienvenue. Si vraiment Monénembo se préoccupait du sort des ivoiriens, la question qu’il poserait est celle de savoir pourquoi les forces de l’ONU ne protègent pas les citoyens ivoiriens des miliciens qui attaquent la population. Ça, il s’en fiche. En revanche, il se vexe que Sarkozy ou Ban Ki-moon grondent un chef d’État africain. Sarkozy ou Ban Ki-moon sont des alliés de circonstance dans la crise ivoirienne. Que leurs intérêts les mènent à faire le bon choix ne devrait pas nous obliger à faire le mauvais choix ou à ne pas exprimer clairement que ce que Gbagbo essaie de faire est inacceptable et devrait appartenir au passé de l’Afrique. Etre indépendant ne veut pas dire être contre, cela signifie réfléchir par soi même et s’autodéterminer indépendamment des autres.

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1C’est moi qui souligne

2De manière totalement illégitime si vous voulez mon avis